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F. RAVAISSON.TESTAMENT PHILOSOPHIQUE.

leur apprentissage sont les destructeurs de leur propre génie.

Selon l’ancien adage, c’est en forgeant qu’on devient forgeron. La seule méthode donc par laquelle on puisse apprendre l’art est celle même par laquelle on l’exerce et à laquelle se réduit pour l’essentiel, comme on l’a vu, celle même de la science : partir du simple, c’est-à-dire non du détail qui n’existe dans un organisme que par la fin à laquelle il sert, mais de la fin. Il faut, dit Horace et disent avec lui tous les maîtres, poser d’abord le tout. Le posant, ajoute-t-il, il faut plus encore chercher à y saisir le principe simple dont il est l’effet et l’expression.

La méthode sera progressive si elle s’applique à la reproduction de modèles de plus en plus compliqués.

Ajoutez que la géométrie y aura sa part, mais dans l’emploi de la perspective, pour réduire à des principes scientifiques les altérations de formes qui résultent des lois optiques, et en faciliter ainsi l’intelligence.

Pour les formes mêmes et les mouvements, la connaissance en doit aussi précéder l’emploi de la méthode proprement dite, consistant dans l’imitation des modèles ; elle servira, ce qui est, dit Léonard, l’utilité dont est la science pour l’art, en distinguant le possible de l’impossible.

La méthode proprement dite de l’art consiste dans l’imitation des modèles, non comme le tracé géométrique dans une construction par des règles. C’est ce qu’avaient compris ceux qui donnèrent au dessin d’art la dénomination de dessin d’imitation.

Le commencement en était, suivant l’usage des maîtres d’autrefois, vainement répudié par quelques artistes de second ordre dont le plus considérable fut Benvenuto Cellini, de définir d’abord les parties de la figure humaine où l’âme se fait le plus voir et qui servent le plus à l’expression, parties que la prétendue méthode pestalozienne ou géométrique réserve pour la fin, à savoir les yeux et la bouche. Michel-Ange encore en faisait une prescription formelle. Après cette préparation, et abordant la figure entière, l’apprenti dessinateur y cherchera sur la trace de Michel-Ange, de Léonard de Vinci et surtout des artistes grecs, les lignes serpentines caractéristiques des mouvements, d’abord, et, secondement, des formes. Il la cherchera surtout dans les figures du genre de celles que Léonard appelle divines. Il apprendra de la sorte à voir à sa manière tout en Dieu, comme veulent Descartes et Malebranche et Leibnitz.