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permanence, ce fut aussi le point de départ de l’art que le souci de la durée.

On dressa d’abord des pierres, des pierres brutes ou à peine taillées pour perpétuer le souvenir d’événements considérables, surtout des plus considérables de tous, des apparitions divines ou théophanies.

Les pierres dressées imitaient en abrégé les monts, séjours présumés des dieux et dieux eux-mêmes. Dans ces pierres les dieux, en effet, venaient se fixer. Des incantations magiques les y appelaient, des offrandes les y retenaient ; on en a trouvé dans l’Inde, barbouillées à leur partie supérieure de sang, vestige de sacrifices. Tels furent les premiers monuments ou mémoriaux (μνημεῖον) suscitant et entretenant la mémoire des choses divines.

Plus tard, lorsqu’on se représenta les dieux sous des formes plus définies, et, surtout chez les Grecs, sous les plus belles formes de l’espèce humaine, symbolisant les plus hautes vertus intellectuelles et morales, on voulut que des images les représentassent tels.

Ce fut, avec les essais pour développer par la danse et la musique les beautés de l’humanité elle-même, le commencement de l’art proprement dit. La source en fut dans l’impression faite sur le cœur par la beauté et dans le désir correspondant de la traduire aux sens et à l’imagination.

La méthode pour développer le sens de l’art ne peut être dès lors que l’imitation de ce qui s’offrait de plus beau.

Ce n’est point, disent Bacon et Leibnitz, par des règles, par des préceptes abstraits qu’on réussit à produire de belles choses, mais en en considérant, en en imitant. Bacon dit : On ne fait rien de beau par des régies, mais par une espèce de bonheur ; Leibnitz : On aurait beau posséder toutes les règles de la prosodie et de la rhétorique, on ne fera pas pour cela des vers aussi bons que ceux de Virgile, ni des harangues de la force de celles de Cicéron. Et, s’appuyant évidemment sur ce que la beauté est plus sensible encore dans les œuvres de l’art, résultat d’un choix éclairé, que dans celles de la nature, le moyen d’apprendre à faire de bons vers autant qu’on est capable est, ajoute-t-il, de lire de bons poètes. Il arrive alors, ce qui arrive, lorsque, pensant à tout autre chose, on se promène au soleil : on en reçoit une sorte de teinture.

Pour faire de bonne musique, il faut, continue Leibnitz, se fami-