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F. RAVAISSON.TESTAMENT PHILOSOPHIQUE.

La nature (on vient de le voir) se produit par un mouvement d’abaissement suivi de relèvement, c’est-à-dire, en somme, d’ondulation. C’est ce mouvement que reproduit la méthode.

La science, pour faire comprendre la nature, doit la suivre dans sa route. La méthode ne doit pas consister uniquement, comme on le dit souvent, ni même principalement, à recueillir les faits et à en constater l’ordre pour en prévoir et en amener le retour. La vraie méthode, dit Leibnitz, s’adresse aux causes, sachant qu’elles se transforment dans leurs effets pour reparaître au terme des métamorphoses de ceux-ci. La méthode suivra donc la nature et dans sa contraction et dans son expansion ; elle la suivra aussi dans l’épanouissement final, but de toute la nutrition et de toute la croissance. Elle établira enfin l’harmonie, la continuité qui complète par la douceur, la beauté et la grâce, et de l’histoire fera, en dernière analyse, un poème, poème à placer, à plus juste titre encore que celui de l’épicurien Lucrèce, sous l’évocation de la déesse de la beauté, de la paix et de l’amour.

Ce que la science enseigne, l’art l’enseigne avec plus de force encore. Si, en effet, la science poussée jusqu’au point où elle confine à la philosophie fait reconnaître l’apparition de la beauté, la présence de l’action de l’âme, la beauté est l’objet propre et exclusif de l’art. Si la science relève, et d’autant plus qu’elle a de plus importants objets, de l’esthétique, à plus forte raison en est-il ainsi de l’art dont c’est l’office même de réaliser la beauté et la grâce ; à plus forte raison aussi lui appartient-il, plus encore qu’à la science, d’éclaircir la méthode et de tracer ses voies.

L’art a pour objet immédiat la reproduction de la vie : spirantia æra, vivos de marmore vultus, dit Virgile.

Aristote a appelé la poésie une imitation de la nature, il a ajouté : elle n’imite pas tant la nature telle qu’elle est que telle qu’elle doit être. On pourrait dire aussi en ce même sens, en empruntant une expression à Spinosa : elle n’imite pas tant la nature naturée que la nature naturante, ou encore elle n’imite pas tant l’œuvre que le dessein, ou enfin elle n’en imite pas tant le corps que l’âme.

Si les religions adorèrent d’abord « l’Éternel » et les « Immortels » ; si Platon en cherchant l’Être différent et de la puissance et du devenir, quoique sans faire nettement cette distinction et s’en tenant au vague de l’abstraction, prit, pour son caractère essentiel, la