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F. RAVAISSON.TESTAMENT PHILOSOPHIQUE.

elles autant si ce n’est même plus qu’en soi-même, et qui est ainsi ce qu’on pourrait appeler une simplicité complexe ou une simplicité multiple.

Ce qu’il trouve ainsi en soi, chacun de ces personnages le reconnaît volontiers chez les autres. Le généreux, suivant Descartes et suivant Leibnitz, a la conscience de porter en lui une force par laquelle il est maître de lui-même, qui fait sa dignité et qui fait également la dignité de tous les autres. Bien plus, il est disposé à reconnaître, chez tous les êtres, de quelque ordre qu’ils soient quelque chose d’analogue. C’est la croyance formelle de Leibnitz et peut-être n’est-ce qu’en apparence que Descartes ne reconnaît que dans l’humanité l’existence de l’âme. « Il est difficile de croire, dit Bossuet, que dans les corps qu’il paraît, pour faire ressortir la supériorité de l’esprit, réduire à la seule étendue, il n’ait pas aussi supposé quelque chose de plus foncier. »

C’est donc la croyance qui dut être au fond celle des grands esprits des premiers temps que, comme le dit le plus ancien des philosophes. Thaïes, tout était plein d’âmes et que vraisemblablement ces âmes, pour différentes qu’elles fussent, n’en étaient pas moins une seule et même chose dont la racine était la divinité[1].

Ainsi se forment dès les temps les plus anciens deux manières différentes de comprendre les choses : suivant l’une, elles se réduisaient presque entièrement à des corps inertes épars qu’assemblait ou dispersait dans le vide l’aveugle hasard ; suivant l’autre, des puissances cachées, âmes ou dieux, avaient tout fait et dirigeaient le monde. De ces deux manières de penser devaient sortir peu à peu deux philosophies. L’une que Cicéron appelle plébéienne, que Berkeley appelle au xviiie siècle petite philosophie et Leibnitz paupertina philosophia, c’est celle des Démocrite et des Épicure, dont les principaux facteurs furent les sens et l’entendement, l’entende-

  1. Dès l’origine, des hommes d’élite eurent, la conscience qu’il y avait en eux une volonté par laquelle ils savaient se rendre indépendants des circonstances. Ils crurent aisément qu’il se trouvait chez les autres hommes une force semblable et même dans tous les êtres quelque chose d’analogue. Cette force ils la crurent la même qui entretenait la vie par la respiration et lui donnèrent des noms qui signifiaient vent et souffle (en grec πνεύμα en latin animus et anima) ; de ce nom dans la langue latine est dérivé dans la nôtre celui d’âme. Pour plusieurs dans cette haute antiquité toutes les âmes, quoique chacun eût la sienne, n’en formèrent qu’une seule. Pour plusieurs aussi l’âme universelle était une divinité supérieure de laquelle dépendait le monde entier.