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Socrate, pour Platon, pour Descartes, ce qu’elle est maintenant pour nous : elle est ce qui demeure, elle est le vrai Dieu. Il est donc juste de dire que nous devons à la Raison un culte, que nous devons la servir, l’estimer, l’honorer par-dessus toute chose, et que notre bonheur, nos biens et notre vie même ne doivent point être considérés, lorsque la Raison commande.

Les hommes sentent bien tous confusément qu’il y a quelque chose de supérieur, quelque chose d’éternel à quoi il faut s’attacher, et sur quoi il faut régler sa vie. Mais ceux qui conduisent les hommes en excitant chez eux l’espoir et la crainte leur représentent un Dieu fait à l’image de l’homme, qui exige des sacrifices, qui se réjouit de leurs souffrances et de leurs larmes, un Dieu enfin au nom duquel certains hommes privilégiés ont seuls le droit de parler. Un tel Dieu est un faux Dieu.

La Raison, c’est bien là le Dieu libérateur, le Dieu qui est le même pour tous, le Dieu qui fonde l’Égalité et la Liberté de tous les hommes, qui fait bien mieux que s’incliner devant les plus humbles, qui est en eux, les relève, les soutient. Ce Dieu-là entend toujours lorsqu’on le prie, et la prière qu’on lui adresse, nous l’appelons la Réflexion. C’est par la Raison que celui qui s’abaisse sera élevé, c’est-à-dire que celui qui cherche sincèrement le vrai, et qui avoue son ignorance, méritera d’être appelé sage.

Et pour vous faire comprendre enfin que la Raison est supérieure à tout autre maître, et qu’il n’est pas un homme au monde qui volontairement abaisse et méprise la Raison, je veux emprunter ma conclusion à l’illustre Pascal, qui, comme vous savez, essaya pourtant de se prouver à lui-même que l’homme a un maître supérieur à la Raison : « La Raison, dit Pascal, nous commande bien plus impérieusement qu’un maître, car en désobéissant à un maître on est malheureux, et en désobéissant à la Raison on est un sot ».


E. CHARTIER.