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capable de comprendre la chose la plus simple du monde ; et comprendre, c’est toujours comprendre la chose la plus simple du monde ; une chose qui n’est pas la plus simple du monde pour un homme, est incompréhensible pour lui, et il sera parfaitement raisonnable en refusant de l’accepter.

Et c’est assurément ce que voulait dire Descartes, lorsqu’il disait, c’est la première phrase de son Discours de la méthode : « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée » ; et par le bon sens, dit-il plus loin, j’entends la Raison, c’est-à-dire la faculté de bien juger et de discerner le vrai du faux. Il voulait dire, et nous voyons bien maintenant qu’il faut le dire, que la Raison est tout entière en tout homme, qu’en ce sens tous les hommes naissent absolument égaux ; qu’un homme en vaut un autre ; que tout homme a le droit et le pouvoir de douter et de discuter, et que l’ignorance ingénue du plus simple des hommes a le droit d’arrêter le plus sublime philosophe et de lui dire : « Je ne comprends pas, instruis-moi. »

Mais je vois bien mieux, maintenant, je vois que la Raison est éternelle et supérieure à l’humanité, et qu’elle est le vrai Dieu, et que c’est bien un culte qu’il faut lui rendre. En effet, cette raison, commune à tous les hommes, et qui est tout entière en chacun d’eux, doit être rigoureusement la même en tous ; sans quoi les hommes ne pourraient pas se comprendre ; toute démonstration, toute discussion même serait impossible. Or en fait il existe des vérités démontrées. Les sciences mathématiques, pour ne parler que de ce qui est incontestable, conduisent nécessairement tous les hommes à certaines conclusions qui sont les mêmes pour tous. Bien plus celui-là même qui croit pouvoir douter de tout propose ses arguments aux autres ; il les leur explique, il répond à leurs objections. Il faut, pour que tout cela soit possible, que la Raison soit la même en tous. Et nous comprenons bien alors que lorsqu’un homme, Pierre, Paul ou Jacques, meurt, aucune parcelle de la Raison ne meurt avec lui, puisque la Raison reste tout entière aux autres hommes : et, s’il en est ainsi, je puis supposer que tous meurent, sans que pour cela la Raison soit atteinte. Et Platon avait raison de traiter de cette réalité éternelle, de ces idées impérissables, qui ne naissent point et qui ne meurent point. La Raison, quelle qu’elle soit, qu’elle consiste en des idées, en des principes ou en quelque autre chose, est réellement immortelle, ou, pour mieux dire, éternelle ; elle était, pour