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monarchique, c’est-à-dire s’ils ne se mettent à avoir confiance. L’âme républicaine qui conserve la République sera donc justement la négation de la confiance. À partir du moment où les citoyens approuvent, les yeux fermés, tous les discours et tous les actes d’un homme ou d’un groupe d’hommes, à partir du moment où l’électeur laisse rentrer le dogme dans la politique et se résigne à croire sans comprendre, la République n’existe plus que de nom. Comme la confiance est la santé des monarchies, ainsi la défiance est la santé des Républiques.

Le citoyen de la République devra donc rejeter l’autorité en matière d’opinions, discuter toujours librement, et n’accepter comme vraies que les opinions qui lui paraîtront évidemment être telles. Juger ainsi c’est justement user de sa raison, et voilà pourquoi j’ai donné comme titre à cette conférence : Le Culte de la Raison comme fondement de la République ; c’est réellement sur des âmes raisonnables qu’est fondée la République. Mais, à ce sujet, quelques explications sont nécessaires, afin que vous distinguiez nettement ce que c’est que juger par Raison, et ce que c’est au contraire que suivre l’autorité, la tradition ou le préjugé.

Lorsqu’un homme juge que deux et deux font quatre, nous sommes tous d’accord pour penser qu’il ne se trompe point, et nous inclinons même à penser qu’il sait là-dessus tout ce qu’il peut savoir. Pourtant si nous apprenions au perroquet à répéter cette formule, nous ne dirions pas, après cela, que le perroquet a raison quand il la répète. Dire le vrai ce n’est pas encore avoir raison. Il faut aussi savoir pourquoi on dit cela et non autre chose.

J’ai connu une petite fille qui apprenait sa table de multiplication, et qui, lorsqu’on lui posait, par exemple, cette question : « combien font trois fois quatre ? » essayait quelques nombres au hasard comme seize, treize ou dix, et se consolait en disant : « Je n’ai pas gagné », comme si elle eût joué à la loterie. Combien d’hommes se contentent d’« avoir gagné », c’est-à-dire de tomber sur le vrai, grâce à la sûreté de leur mémoire !

User de sa Raison, ce n’est assurément pas répéter ainsi le vrai après d’autres. Un homme raisonnable ne doit point croire que deux et deux font quatre, mais comprendre que deux et deux font quatre. Et pour y arriver, que fera-t-il ? Il divisera la difficulté. Il commencera par former deux, en ajoutant un à un. Puis il divisera de nouveau ce deux en deux fois un, et pour l’ajouter à deux, il ajoutera