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F. RAVAISSON.TESTAMENT PHILOSOPHIQUE.

jours. Une autre fois sa compassion pour Alceste le conduisait aux enfers afin de l’en tirer.

Un autre, Thésée, l’Hercule athénien, après être descendu au Labyrinthe pour délivrer des captifs destinés à y devenir la proie d’un monstre, élevait au milieu d’Athènes un autel à la Pitié, honorant ainsi en elle une déesse. Cette cité dont il avait été le fondateur, il voulait que la Pitié fût comme son inspiration. Ajoutons que vraisemblablement la Pitié n’était ici qu’un autre nom de la grande déesse Vénus, la déesse de l’amour et de la paix, à laquelle paraît avoir été consacrée originairement l’Acropole.

Le héros de l’Iliade, Achille, après avoir vengé avec fureur sur Hector le meurtre de son ami, se laisse fléchir à la fin du poème par les prières du vieux Priam et lui rend les restes de son fils. Le grand poème hellénique ne chante pas tant la colère d’Achille que sa compassion pour le vieux père de celui qui lui a tué son ami et à qui lui-même il a tué son fils. À sa pitié surtout se fait reconnaître ce que son cœur a de grand. Magnanime, telle est l’épithète qui caractérise plus que toute autre le héros.

Tel était le héros, tel il se figurait les dieux de qui il avait tout reçu. Homère, encore imbu des maximes héroïques, les appelle des donneurs de biens. Aphrodite, la reine du ciel, la déesse de la beauté et de l’amour, est nommée par excellence la donneuse (δωρίτις)[1] ; en des temps où l’on croyait généralement que tout était sorti de la terre, même les astres, on se représentait le dieu qui y régnait comme à la fois opulent et libéral : Pluton, le Riche, était son nom chez les Grecs ; Dives, le Riche aussi, chez les Latins. Pluton, dans les anciens monuments, porte souvent une corne d’abondance débordant de fruits, et Sérapis, qui prend tardivement sa place, un boisseau. Pluton, souvent aussi, porte cette espèce de fourche qu’on a prise pour une arme mise par les peintres, Raphaël entre autres, à la main de Satan, mais qui, en réalité, était la houe avec laquelle on tirait de la terre les fruits qu’elle contenait, dont on croyait que vivaient les premiers hommes ; et c’est pourquoi l’Odyssée place dans les enfers une prairie d’asphodèles et non, comme l’a cru Welcker, à cause de l’aspect prétendu sinistre de cette plante.

  1. C’est le nom que le Christianisme donnera à l’Esprit qui éclaire et qui vivifie ; il l’appellera même non seulement ce qui donne, mais le don.