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moyen du baptême des enfants, tous les habitants des pays soi-disant chrétiens furent enrégimentés dans la chrétienté. « On ose, s’écrie Kierkegaard (Le Moment, VII), on ose faire cela à la face de Dieu, sous le couvert du baptême chrétien ! Le baptême, l’acte sacré par lequel le Sauveur du monde fut consacré à l’œuvre de sa vie, et, après lui, les disciples, des hommes depuis longtemps déjà en âge de savoir et qui, morts à la vie d’ici-bas, promettaient de vivre dorénavant comme des sacrifiés dans ce monde du mensonge et de la méchanceté ! »

La polémique de Kierkegaard eut pour apogée l’énoncé d’une proposition unique (contrairement aux quatre-vingt-quinze de Luther) : « Le christianisme du Nouveau Testament n’existe pas ». Et, complétant la thèse, Kierkegaard mettait en garde contre « ceux qui portent de longs vêtements » et contre la participation au culte officiel, où on se moque de Dieu !

L’opposition de Pascal et de Kierkegaard est un fait du plus haut intérêt dans l’histoire de la religion. Du côté des sociologues, on a soutenu que la religion est essentiellement un phénomène social. Et, en fait, l’histoire des religions étudie de préférence des phénomènes religieux relevant du culte traditionnel. Dans ces conditions, comment peut-on attribuer une importance du même ordre à des personnages qui ont été amenés, par l’effort de leur vie et de leur pensée, à rompre avec la société religieuse à laquelle ils appartenaient, sans entrer ensuite dans quelque autre société ? Si encore ils se laissaient rattacher chacun à sa secte : Pascal au jansénisme, Kierkegaard, éventuellement, au piétisme (comme cela a été fait dans un excellent ouvrage de sociologie français). Le rattachement échouerait, d’abord, pour Pascal qui, justement, dans la phase suprême et décisive de sa vie, eut la douleur de se séparer de ses alliés de Port-Royal ; et quant à Kierkegaard, il abonde en saillies ironiques et en sarcasmes à l’adresse des piétistes et ne paraît nullement enclin à faire cause commune avec eux. Il serait plus plausible de dire que leur rupture avec la tradition régnante dans l’Église de leur temps n’eut pour but que d’en relever une plus ancienne, à leurs yeux la seule légitime. Mais leur appel, leur retour vers ce qu’ils croyaient l’état de choses originel, en faisait des solitaires de leur époque, et c’est au nom de la conscience individuelle qu’ils protestèrent. A quelle instance sociale eussent-ils pu en appeler ? Pascal a vu, il est vrai, dans un miracle la confirma-