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(fr. 882). Mais si Rome condamne la vérité, il faut crier d’autant plus fort ; il faut en appeler au ciel. « Il est meilleur d’obéir à Dieu qu’aux hommes » (fr. 920). Les amis jansénistes de Pascal jugèrent bon, par la suite, de supprimer ces dernières lignes dans la première édition des Pensées. Celui fut un grand chagrin de sentir que sur ce point ils ne mettaient pas la vérité au-dessus de tout. La mort seule l’avait empêché de publier lui-même ses dernières pensées. A son lit de mort il reçut les sacrements de la main de son curé ; ses adversaires l’interprétèrent comme une rétractation, mais il y faut voir seulement qu’il ne pensait pas avoir rompu avec la vraie Église.

Kierkegaard a grandi au sein de l’Église protestante, dans la vénération de ses chefs, contemporains et anciens. C’est pendant les années 1847-1850 qu’il aperçut de plus en plus le désaccord qui existe entre le christianisme primitif et celui des temps modernes, et deux de ses plus pénétrants écrits, La Maladie à la mort (1849) et L’Exercice dans le Christianisme (1830), annoncèrent le grand règlement des comptes qu’il allait demander à l’Église. L’idée maîtresse de ces deux ouvrages est qu’on a oublié, surtout chez les Protestants, l’idée primitive, le prototype pour le réconciliateur. On a fait du dogme expiatoire une donnée acquise et on s’est cantonné sans rancune dans ce monde imparfait. Kierkegaard, tourné vers les représentants de l’Église, les exhorte à reconnaître quelle distance sépare la religion actuelle du Nouveau Testament, et dans quelle apostasie elle est tombée depuis l’aube héroïque du christianisme. Les chefs d’Église interpellés gardèrent le silence et, même, avancèrent à l’occasion la prétention d’être en continuité avec « l’époque des apôtres » : là-dessus Kierkegaard lança une protestation fulgurante, surtout dans sa brochure belliqueuse Le Moment (1855). Mais il tomba en pleine lutte et mourut. Il expira sans le sacrement, ne voulant pas le prendre de la main d’un pasteur. Il va plus loin ici dans sa révolte contre l’Église que ne faisait Pascal, mais il n’a pas rejeté le sacrement comme tel et, sur ce point, il ne sort pas non plus des traditions de la vieille Église.

La Maladie à la mort est le désespoir qui naît nécessairement de l’opposition entre la vie spirituelle imposée à l’homme par le christianisme et la vie que lui assignent les sentiments et les appétits naturels. Dans les cas où l’homme n’a pas déjà pris conscience du dilemme qui l’enserre, il pourra encore jouir de la vie comme le ferait un enfant ; mais, de loin en loin, l’angoisse s’annoncera mettant fin à