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tion de la vie. Dans la perspective d’une catastrophe imminente d’où naîtraient un nouveau ciel, une terre nouvelle, les devoirs purement humains ou sociaux perdaient leur urgence. C’est pourquoi il n’est pas question, dans le Nouveau Testament, d’art, de science, de vie publique ; la vie de famille elle-même n’était admise que sous certaines réserves. La morale du Nouveau Testament devait être ce que M. Albert Schweitzer a bien nommé une « éthique intérimaire ». Tous les efforts, tous les projets convergeaient sur un unique but sis dans un avenir voisin. Pour cette chrétienté primitive, l’avènement du règne de Dieu, auquel il est fait allusion dans la prière dominicale, prenait un sens très précis : on n’entendait point par là demander vaguement l’obtention de biens spirituels. Chez les fervents, l’attente se doublait d’un enthousiasme haussé souvent jusqu’à de l’extase et qui rendait faciles tous les sacrifices. Les choses de la vie journalière des hommes se rapetissaient devant la grandeur de celles qu’on attendait.

A l’encontre d’une croyance comme celle des chrétiens primitifs, le catholicisme et le protestantisme apparaissent comme des organisations à longue échéance basées sur la chance d’une évolution prolongée de la vie religieuse et, en général, de la vie humaine sur terre. De moins en moins, on s’est préparé à un départ brusqué. Tout en s’efforçant de ne pas sortir de l’attente des premiers siècles, on en a placé cependant la réalisation dans un avenir toujours plus reculé, la sujétion où elle avait tenu les âmes allait en diminuant : Peu à peu on s’appropria, — après une résistance convenable, qui fut souvent assez âpre, — non seulement la culture transmise par l’antiquité classique, mais aussi la culture nouvelle qui se développait indépendamment du christianisme, fait qui n’empêche point les deux Églises de s’affirmer en continuité avec la croyance des premières générations chrétiennes et de maintenir, chacune à sa manière, la prétention d’avoir gardé intacte la vieille tradition à travers les temps nouveaux.


La solution la plus grandiose du problème est celle du catholicisme. Elle se fonde sur la distinction de degrés dans la perfection. Religieux et religieuses renoncent à la vie dans le siècle afin de pouvoir se consacrer entièrement à l’au-delà, à la seule chose nécessaire. C’est par eux que subsiste la filiation du christianisme originel. Aux laïques incombe la tâche de continuer la vie humaine sous