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Pascal emploie au fond la même mesure ; il la tire du rapport entre le fonds plus ou moins riche qu’offre une existence et l’énergie de l’homme à concentrer et à ordonner ses richesses. Aussi bien est-ce l’unique mesure qu’on puisse employer vis-à-vis des différences, des individus et des époques, dans leur manière de comprendre la vie ; il s’impose même à ceux qui ne placent pas le but final de l’existence où l’ont mis Pascal et Kierkegaard. Une objection nous vient dès maintenant contre cet emploi qu’ils font de leur principe de mesure. Ils considèrent de façon exclusive la résistance intérieure, subjective qu’il faut vaincre, par conséquent, le travail intérieur par lequel s’obtient l’unité et la concentration de l’âme. Mais la question se pose de savoir quelle est l’importance de ce travail intérieur pour les groupes humains où vit l’individu, pour la société dont il fait partie, peut-être même pour l’humanité entière. C’est là un point de vue qu’on ne ferait jamais adopter à Pascal ni à Kierkegaard. D’après eux, il y a tout un abîme entre le type de vie qu’ils regardent comme le plus élevé et les autres vies consacrées à l’œuvre de la civilisation humaine.


III. ― LE PROBLÈME CHRÉTIEN

La vie et l’œuvre de Pascal s’accomplirent à l’intérieur du catholicisme ; Kierkegaard a évolué dans un milieu protestant. De là, entre eux, des différences multiples se manifestant dans leur formation religieuse aussi bien que dans les positions où ils se sont définitivement établis. Mais, au point de vue de l’histoire de la religion, il est très intéressant de voir qu’arrivés au terme de leur effort pour découvrir le point central de leur religion, ils s’arrêtent devant un seul et même problème, qu’on pourrait formuler ainsi : Est-il possible de rester dans l’esprit et la pratique du christianisme primitif, tout en s’assimilant et en servant une culture, morale et matérielle, qui non seulement ne sort pas du christianisme, mais même l’a précédé et a continué de se développer en dehors de lui d’après ses lois particulières ? En effet, le problème se pose pour les catholiques comme pour les protestants. Avant d’aller plus loin, considérons ce qui l’a fait naître.

Les premières générations chrétiennes vécurent dans l’attente d’un retour prochain du Christ, qui devait clore les destinées du monde par un jugement universel. Au début, cette attente constituait la croyance des chrétiens ; elle réglait leur vie et leur concep-