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prit que le Dieu vivant demande tout et qu’un renoncement plénier devait s’ensuivre. Sa vie jusqu’à ce jour lui sembla dépensée dans le vide, maintenant il exultait d’avoir retrouvé la source de vie.

Ayant passé par de tels états psychologiques, Pascal ne pouvait que s’indigner devant les tentatives que faisaient les Pères de la Société de Jésus pour adapter aux besoins des gens du monde les hautes exigences de l’idéal chrétien. Impossible de « joindre Dieu au monde » (fr. 935 Br,). Le monde ne repousse pas la religion, mais il la veut tout indulgente et douce (fr. 956 Br.). Dans ses Lettres écrites à un provincial, comme dans les toutes dernières des Pensées, il parle, en termes toujours plus rudes, des voies de corruption où s’est enfoncée l’Église. « Si elle absout ou si elle lie sans Dieu, ce n’est plus l’Église » (fr. 870 Br.).

Au cours de la polémique ainsi engagée, dans le temps même où il publiait les Provinciales, il arriva qu’une jeune parente de Pascal guérit d’une maladie des yeux pourtant déclarée incurable par les médecins : on lui avait appliqué, sur l’œil malade, une épine de la couronne du Sauveur, qui faisait partie des reliques de l’église de Port-Royal. Ce miracle le confirma dans sa conviction d’avoir opté pour le vrai. L’heure des miracles n’était donc point passée, comme le soutenaient les adversaires. Et si les autorités de l’Église renient la vérité, il faut que Dieu lui-même intervienne (fr. 832, 839 Br.). Aussi Pascal en appelle-t-il avec confiance, de Rome, qui le condamne, au tribunal de Jésus-Christ (fr. 920 Br.).

Dans sa vie privée, Pascal réalisa le renoncement complet à lui-même. Sans entrer au couvent, il vécut ses dernières années dans l’ascétisme le plus rigoureux, tout adonné aux œuvres de charité et faisant défense inquiète aux siens de s’attacher à sa personne et de frustrer ainsi Dieu de cet abandon total de l’être qui lui est dû. La longue maladie qui le rongeait, il la prenait comme un soulagement, bien qu’elle l’empêchât d’achever cette apologie du christianisme dont l’ébauche tient dans ses Pensées. Pour le chrétien l’état normal est un état morbide de l’âme où il lui est moins malaisé de se maintenir quand il souffre aussi dans son corps.


C’est un autre portrait moral qui se dégage pour nous de Kierkegaard. Son évolution a plus de continuité, tout en offrant des tournants décisifs. Il n’appartient pas à la catégorie des « deux fois nés ». L’extase ni le miracle ne jouent de rôle dans sa vie.