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PASCAL ET KIERKEGAARD




À deux siècles de distance, deux penseurs, également attachés pourtant au christianisme jusqu’au tréfonds de leurs âmes ferventes, se sont rencontrés dans le procès de leur religion telle que les temps l’ont déformée. L’un et l’autre dénoncent l’incompatibilité qui oppose l’esprit qui animait le christianisme à ses débuts et son état des temps modernes. Cet antagonisme date du jour où l’Église a tenté d’entrer en relations intimes avec le « monde », le « siècle », autrement dit avec la culture développée sur des bases purement humaines. Le bilan de l’Église fut entrepris, dans les deux cas, avec tant de passion, et poussé avec tant de logique qu’il y aurait eu matière à une grande révolution intellectuelle et morale, mais — et c’est bien là le point tragique des destinées en cause — à peine les deux penseurs eurent-ils énoncé leur dernière parole, qu’ils succombèrent, consumés l’un et l’autre par la lutte spirituelle qu’ils avaient eue à soutenir avec eux-mêmes et avec leurs contemporains. Ils moururent jeunes, Pascal à 39 ans (1662) et Kierkegaard à 42 (1855), laissant entier le grand problème formulé à nouveau par eux avec une acuité sans précédent. Mais, dans le monde de l’esprit, jamais l’énergie héroïque ne se dépense en vain et, reprise avec cette instance et cette fougue, la question s’est posée de savoir si, oui ou non, les traditions religieuses des Églises chrétiennes pouvaient continuer d’appuyer l’inquiétude loyale et la recherche sincère des amis de la vérité.

Vaine question ! du camp des Églises n’est venue aucune réponse. On s’y flatte de persister dans la pratique suivie en négligeant les récriminations. On s’appuie sur le fait, d’ailleurs incontestable, qu’il n’a pas paru jusqu’à présent d’autre organisation susceptible à la fois de répandre dans le monde la notion du sérieux de l’existence humaine