EUDOXE. — Connaître ma pensée, c’est donc pour moi connaître des habitudes ?
ARISTE. — C’est cela même.
EUDOXE. — Mais l’habitude n’est-ce pas pour moi la possibilité de faire une certaine action, et l’impossibilité de faire une certaine autre action ?
ARISTE. — Oui.
EUDOXE. — Qui vous empêche, Ariste, de prendre avec votre main une des feuilles de cet arbre que j’aperçois ?
ARISTE. — La structure de mon bras, sans aucun doute.
EUDOXE. — Connaître la structure de votre bras, n’est-ce pas connaître certaines actions comme possibles pour vous et certaines actions comme impossibles pour vous ?
ARISTE. — Oui.
EUDOXE. — Il est étrange que l’idée de l’habitude, et l’idée d’une partie de votre corps soient identiques.
ARISTE. — Cela est étrange en effet.
EUDOXE. — Prenons donc la question d’un autre côté.
ARISTE. — De quel côté ?
EUDOXE. — Je vois d’ici, par cette fenêtre, un arbre que vous ne voyez pas. D’où vient cela ?
ARISTE. — De ce que nous n’occupons pas le même lieu.
EUDOXE. — N’est-ce pas en cela que consiste aussi la différence de nos pensées ?
ARISTE. — En quoi donc ?
EUDOXE. — En ce que nous ne connaissons pas les mêmes choses ?
ARISTE. — Oui, en cela précisément.
EUDOXE. — Et nous ne connaissons pas les mêmes choses parce que nous n’occupons pas le même lieu ?
ARISTE. — Rien n’est plus clair que cela.
EUDOXE. — Si donc je veux connaître en quoi ma pensée est mienne, je dois connaître un certain lieu qui est mien.
ARISTE. — Comment le nier ?
EUDOXE. — Et ce lieu qui est mien n’est-ce pas mon corps ?
ARISTE. — C’est cela même. Et je ne m’étonne plus maintenant que l’idée de l’habitude soit la même que l’idée d’une des parties de mon corps.
EUDOXE. — Prenez garde, Ariste, que c’est là une question difficile, et que nous ne pouvons encore qu’en entrevoir la solution. Nous y