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CRITON.dialogue philosophique entre eudoxe et ariste

trop vite à mes raisons. Vous disiez que les faits intérieurs étaient dans le temps et non dans l’espace, et je vous montrais sans peine que de tels faits ne peuvent être connus. Mais si vous aviez dit que les faits intérieurs étaient dans l’espace, tout mon discours sur la cause et sur l’effet et sur le « rien n’est vrai » vous aurait semblé tout à fait hors de propos.

ARISTE. — Je suis donc semblable à ce fou qui disait en plein jour « il fait jour », car c’est tout à fait par hasard que j’ai dit le vrai.

EUDOXE. — Afin de nous distinguer de ce fou qui disait le vrai sans être dans le vrai, examinons cette vérité nouvelle afin de la rattacher si nous le pouvons aux autres. Car de même que tous les êtres sont des parties de l’être, de même toutes les vérités doivent être des éléments nécessaires de la vérité totale.

ARISTE. — Je vous suivrai volontiers dans cette recherche, mon cher Eudoxe.

EUDOXE. — Il me semble que, si nous recevons pour vrai qu’il existe en vous un espace intérieur, nous devrons modifier quelques-unes des idées que nous avons sur l’espace.

ARISTE. — Lesquelles ?

EUDOXE. — Ne disons-nous pas que l’espace est illimité en grandeur ?

ARISTE. — Nous le disons.

EUDOXE. — Et que par suite il ne peut y avoir deux espaces ?

ARISTE. — Pourquoi cela ?

EUDOXE. — Parce que chacun d’eux limiterait l’autre.

ARISTE. — Cela est vrai.

EUDOXE. — Mais pourtant, si ce que vous dites est vrai, il y aura au moins deux espaces : l’espace qui vous est extérieur, et où sont les choses, et l’espace qui est en vous, et où sont vos idées géométriques.

ARISTE. — Il y aura en effet deux espaces.

EUDOXE. — Ils seront donc tous les deux limités ?

ARISTE. — Cela me paraît bien difficile à admettre.

EUDOXE. — Il arrive souvent que la vérité elle-même est bien difficile à admettre. Mais revenons à ce triangle idéal auquel vous pensez. A-t-il une droite et une gauche, un haut et un bas ?

ARISTE. — Un triangle idéal ne saurait avoir de rapport avec mes mains, ma tête et mes pieds.

EUDOXE. — S’il en est ainsi, vous ne pourrez connaître aucune