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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

J’ai raisonné comme si je savais déjà la géométrie. J’ai donc admis les divers faits expérimentaux qui sont à la base de la géométrie et qui ont été non la cause, mais l’occasion du développement de nos notions géométriques.

Si on admet ces faits, la compensation des deux changements ne peut s’opérer que dans les conditions que je viens de dire. Mais a priori rien n’empêche d’adopter d’autres hypothèses.

Les conclusions qui précèdent sont donc exactes dans le monde où nous vivons, mais elles ne nous sont pas nécessairement imposées, et si nous sommes portés à le croire, c’est parce que nous pouvons difficilement secouer des habitudes invétérées de notre esprit.

Les corps solides et la géométrie. — Parmi les objets qui nous entourent, il y en a qui éprouvent fréquemment des déplacements susceptibles d’être aussi corrigés par un mouvement corrélatif de notre propre corps, ce sont les corps solides.

Les autres objets, dont la forme est variable, ne subissent qu’exceptionnellement de semblables déplacements (changement de position sans changement de forme). Quand un corps s’est déplacé en se déformant, nous ne pouvons plus, par des mouvements appropriés, ramener les organes de nos sens dans la même situation relative par rapport à ce corps ; nous ne pouvons plus par conséquent rétablir l’ensemble primitif d’impressions.

Ce n’est que plus tard et à la suite d’expériences nouvelles que nous apprenons à décomposer les corps de forme variable en éléments plus petits tels que chacun d’eux se déplace à peu près suivant les mêmes lois que les corps solides. Nous distinguons ainsi les « déformations » des autres changements d’état ; dans ces déformations chaque élément subit un simple changement de position, qui peut être corrigé, mais la modification subie par l’ensemble est plus profonde et n’est plus susceptible d’être corrigée par un mouvement corrélatif.

Une pareille notion est déjà très complexe et n’a pu apparaître que d’une façon relativement tardive ; elle n’aurait pu naître d’ailleurs si l’observation des corps solides ne nous avait appris déjà à distinguer les changements de position.

Si donc il n’y avait pas de corps solides dans la nature, il n’y aurait pas de géométrie.

Une autre remarque mérite aussi un instant d’attention. Supposons un corps solide occupant d’abord la position et passant