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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Quand je dis que nous nous représentons ces mouvements, je veux dire seulement que nous nous représentons les sensations musculaires qui les accompagnent et qui n’ont aucun caractère géométrique, qui par conséquent n’impliquent nullement la préexistence de la notion d’espace.

Changements d’état et changements de position. — Mais, dira-t-on, si l’idée de l’espace géométrique ne s’impose pas à notre esprit, si d’autre part aucune de nos sensations ne peut nous la fournir, comment a-t-elle pu prendre naissance ?

C’est ce que nous avons maintenant à examiner et cela nous demandera quelque temps ; mais je puis résumer en quelques mots la tentative d’explication que je vais développer.

Aucune de nos sensations, isolée, n’aurait pu nous conduire à l’idée de l’espace ; nous y sommes amenés seulement en étudiant les lois suivant lesquelles ces sensations se succèdent.

Nous voyons d’abord que nos impressions sont sujettes au changement ; mais parmi les changements que nous constatons, nous sommes bientôt conduits à faire une distinction.

Nous disons tantôt que les objets, causes de ces impressions, ont changé d’état, tantôt qu’ils ont changé de position, qu’ils se sont seulement déplacés.

Quelle est l’origine de cette distinction ?

Qu’un objet change d’état ou seulement de position, cela se traduit toujours pour nous de la même manière : par une modification dans un ensemble d’impressions.

Mais s’il y a eu seulement changement de position, nous pouvons restaurer l’ensemble primitif d’impressions en faisant des mouvements qui nous replacent vis-à-vis de l’objet mobile dans la même situation relative. Nous corrigeons ainsi la modification qui s’est produite et nous rétablissons l’état initial par une modification inverse.

S’il s’agit par exemple de la vue et si un objet se déplace devant notre œil, nous pouvons le « suivre de l’œil » et maintenir son image en un même point de la rétine par des mouvements appropriés du globe oculaire.

Ces mouvements, nous en avons conscience parce qu’ils sont volontaires et parce qu’ils sont accompagnés de sensations musculaires ; mais cela ne veut pas dire que nous nous les représentons dans l’espace géométrique.