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H. POINCARÉ.L’ESPACE ET LA GÉOMÉTRIE.

mières dimensions. La troisième dimension ne nous apparaîtra donc pas comme jouant le même rôle que les deux autres. Ce que l’on peut appeler l’espace visuel complet n’est donc pas un espace isotrope.

Il a, il est vrai, précisément trois dimensions, ce qui veut dire que ceux des éléments de nos sensations visuelles qui concourent a former « la notion de l’étendue » ; ils seront complètement définis quand on connaîtra trois d’entre eux ; pour employer le langage mathématique, ce seront des fonctions de trois variables indépendantes.

Mais examinons la chose d’un peu plus près. La troisième dimension nous est révélée de deux manières différentes : par l’effort d’accommodation et par la convergence des yeux.

Sans doute ces deux indications sont toujours concordantes, il y a entre elles une relation constante, ou en termes mathématiques, les deux variables qui mesurent ces deux sensations musculaires ne nous apparaissent pas comme indépendantes.

Mais c’est là pour ainsi dire un fait expérimental ; rien n’empêche a priori de supposer le contraire, et si le contraire a lieu, si ces deux sensations musculaires varient indépendamment l’une de l’autre, nous aurons à tenir compte d’une variable indépendante de plus et « l’espace visuel complet » nous apparaîtra avec quatre dimensions.

C’est là même, ajouterai-je, un fait d’expérience externe. Rien n’empêche de supposer qu’un être ayant l’esprit fait comme nous, ayant les mêmes organes des sens que nous, soit placé dans un monde où la lumière ne lui parviendrait qu’après avoir traversé des milieux réfringents de forme compliquée. Les deux indications qui nous servent à apprécier les distances, cesseraient d’être liées par une relation constante. Un être qui ferait, dans un pareil monde, l’éducation de ses sens, attribuerait sans doute quatre dimensions à l’espace visuel complet.

L’espace tactile et l’espace moteur. — « L’espace tactile » est plus compliqué encore que l’espace visuel et s’éloigne davantage de l’espace géométrique. Il est inutile de répéter, pour le toucher, la discussion que j’ai faite pour la vue.

Mais en dehors des données de la vue et du toucher, il y a d’autres sensations qui contribuent autant et plus qu’elles à la genèse de la notion d’espace. Ce sont celles que tout le monde connaît, qui