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J. LAGNEAU.QUELQUES NOTES SUR SPINOZA.

Ses énoncés redisent en d’autres termes, moins exacts, la même chose que ses propositions antérieures et ses axiomes. Il est dupe, en les formulant, des termes nouveaux qu’elles introduisent et croit qu’ils recouvrent des notions nouvelles ; si cela était, ses raisonnements seraient des paralogismes puisque la démonstration, pour être légitime, doit aboutir à des intuitions au sens de Kant, ou à des expériences, et qu’en dehors de ces deux cas dont l’un se présente dans les sciences abstraites, l’autre dans les sciences concrètes, ou bien la démonstration est illusoire ou elle aboutit, comme ici, à une identification de définitions. Spinoza se borne à ramener ces termes nouveaux à la signification des premiers et les propositions qu’il paraît déduire, il ne fait que montrer en elles des formes synonymes des propositions fondamentales, ou plutôt les faire rentrer dans l’intuition première qui comprenait tout et qu’il analyse ; car il n’en avait pas donné de prime abord une définition adéquate, mais l’avait définie seulement par un de ses éléments ou une de ses formes : il amène ensuite l’esprit à se représenter les autres comme de simples équivalents. Idée de puissance et idée d’infini, simples équivalents de l’idée de substance, quoique Spinoza paraisse les prendre au sens ordinaire, admettre l’infini comme quantitatif, simple extension du fini, et la puissance comme un possible qui soutiendrait, coextensif, le fini même : ce qu’il n’admet pas ; il démontre les trois fois par la substance, dont il rattache inconsciemment l’idée aux deux autres, simples traductions.

Il y a donc dans Spinoza toute une critique latente, ou plutôt préparée, prête à sortir. Sa déduction n’est que le développement d’une intuition, dont le noyau, la substance, est l’idée même de l’être en soi et conçu pas soi, ce qu’il considère déjà comme identique. Si on la rapproche (def. 3) des axiomes 1 et 2 : (tout ce qui est est en soi ou en autre chose, et ce qui n’est pas conçu par autre chose doit être conçu par soi) et des autres, il est évident que l’intuition primitive de Spinoza consiste dans cette idée aperçue comme subsistant en elle-même et constituant le fond de tout ce qui est. Dès lors sa démonstration ou plutôt ses démonstrations ne sont plus que des commentaires, des traductions dans le langage courant de la philosophie tant de l’idée que du principe. Chaque traduction de l’idée en est une détermination et à chacune se rattache une forme spéciale du principe. Substance devient cause de soi, identique à existence absolue, et les premiers axiomes sur la substance prennent