Page:Revue de métaphysique et de morale - 3.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
401
J. LAGNEAU.QUELQUES NOTES SUR SPINOZA.

est pour lui l’idée claire par-dessus toutes et qui peut seule donner aux autres la plus grande clarté où elles puissent atteindre. On peut dire que rien n’est moins religieux que Descartes (voir sa Théorie des passions, pur mécanisme, et celle de la Volonté libre, quoi qu’en dise Cousin) et ce qu’il y a de non religieux dans Spinoza, on pourrait dire qu’il vient de lui.

Intelligence et moralité.

Nulle proportion entre l’une et l’autre (si on prend l’intelligence au sens quantitatif). Heureux les simples ! Le sentiment moral peut exister à un bien plus haut degré chez tel ignorant que chez tel grand de l’esprit. On peut dire qu’il est de l’intelligence encore, de l’intelligence qualitative, qui évalue et ne mesure plus. Cette traduction est même la plus large, celle qui permet d’embrasser les formes inférieures, les approximations intellectuelles et esthétiques de la vie morale. Spinoza ne l’entend pas ainsi : il pense au sens étroit que la moralité, ou comme il l’appelle, la liberté et la béatitude, consistent dans l’intellection suprême, celle par laquelle nous comprenons une fois pour toutes et absolument le rapport d’union étroit et nécessaire où nous sommes avec le tout considéré dans son lien intérieur. Cet état ne comporte pas de degrés, on est ou on n’est pas dans la vie morale, dans la vie divine, et il est impossible de l’atteindre par un progrès continu, en partant d’en bas, en prenant sa vie et le monde par le détail. Ni les passions ne peuvent être vaincues successivement et les unes par les autres, ni le progrès de la connaissance du monde, le progrès de la science et aussi de l’expérience sociale ne peuvent augmenter directement la moralité humaine. Cette moralité, il ne faut pas la confondre avec l’idéal moral, c’est-à-dire avec la conscience morale empirique, qui n’est rien aux yeux de Spinoza, puisque ce n’est pas d’elle que vient le salut, c’est-à-dire la force de lui obéir. C’est là le point délicat sur lequel doit porter la critique de sa doctrine. Est-il vrai que la culture non pas intellectuelle pure, mais imaginative et esthétique, soit sans action sur la moralité ? Platon représente l’opinion contraire.