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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

L’être est rivé à lui-même, à son essence ; mais si nous considérons un être de notre double monde, un être comme nous (Spinoza ne distingue pas l’inorganique, l’organique et le pensant), un corps et son idée, qu’est-ce que cet être, cette essence ? Une certaine proportion de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur (corps), et la formule abstraite, la loi suivant laquelle le mouvement se distribue à l’intérieur de lui-même sans cesser de réaliser sous des formes toujours nouvelles, la même proportion, c’est-à-dire sans cesser d’être lui-même (l’âme). Toute essence dans notre monde d’étendue et de pensée est donc un mouvement d’un certain type (corps) ou la formule de ce type (âme). Toute essence existante est donc cause réelle d’une suite indéfinie d’effets, puisqu’elle est mouvement ou idée de mouvements, c’est-à-dire que dans tout être comme nous une variation de son mouvement essentiel suivra toujours une autre variation, et l’idée de la variation nouvelle, celle de la précédente indéfiniment en vertu de l’inertie (conatus ou vis, etc.). Mais cet être, ce mode modifié sans fin, appartient à un monde d’autres modes qui le pressent de toutes parts, et lui communiquent des mouvements qu’à son tour il transmet. Ces mouvements peuvent lui être conformes ou contraires, à toutes sortes de degrés. Ainsi si vous donnez l’impulsion au volant d’une machine, si vous en graissez les rouages, ces mouvements extérieurs seront conformes à sa nature ; si vous en heurtez un rouage dans une direction autre que celle dans laquelle il se meut, si vous augmentez le frottement par quelque moyen, ces mouvements lui seront contraires. Les premiers augmenteront sa puissance, c’est-à-dire multiplieront ses effets, les seconds les diminueront et pourront même les supprimer en brisant la machine. En d’autres termes, les premiers sortiront de la machine transformés selon sa formule propre ; et leurs effets, étant intelligibles par cette formule, seront réputés action de la machine, tandis que les autres, contraires à cette formule, auront des effets qui ne seront pas intelligibles par elle, et que la machine alors sera réputée avoir pâti dans la mesure même où son action aura diminué. Il ne faut donc pas confondre l’essence du mode, qui est abstraite et dure immuable à travers ses affections diverses et inégales jusqu’à ce qu’elle disparaisse brusquement de l’existence, vaincue par les autres, avec les actions qui en découlent, plus ou moins favorisées ou gênées par le système fortuit, contingent, des circonstances au milieu desquelles elles se développent et par lesquelles elles existent comme aussi