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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

mant ainsi par l’intellection parfaite la dépendance intellectuelle et la dépendance morale : suppression de la loi par identification avec la loi. De même elle a l’air d’un idéalisme, d’un transcendantisme ; elle est au contraire un pur réalisme expérimental. En morale comme en théorie, elle ne connaît que ce qui est perçu : Dieu n’est pas pour elle un X non connu, mais affirmé, comme dit Kant, ou simplement conçu et démontré vrai par déduction de cette conception ; il est une réalité perçue, sentie, intérieure ; l’argument ontologique perd ici sa forme abstraite cartésienne et antérieure.

Tandis que dans Kant les formes de la pensée sont des murailles qui l’enferment et qui ne lui laissent de prise au delà que pour concevoir l’existence d’un impénétrable maître qui peut-être les a faites et les maintient, dans Spinoza elles sont les formes mêmes de l’être. Et ce n’est pas idéalisme : car ce système consiste à concevoir que l’être, tout l’être est dans les idées ou dans l’esprit, ce qui est faux pour Spinoza ; car la même nécessité domine, maintient à ses yeux ces deux faces équivalentes, sous toutes leurs formes, de l’être, la pensée et son objet qui sont bien deux. Ou bien l’idéalisme consiste à concevoir au delà du monde pensé, un monde en soi absolu (Kant). Encore moins Spinoza est-il cela. Il n’est pas certain qu’il n’y ait d’être que celui que nous connaissons, mais il est certain que quel que soit cet être il est déterminé, c’est-à-dire il doit exister pour la pensée, sans que ce soit pourtant cette pensée qui le détermine. Notre être à nous (attribut de l’étendue) se trouve être cela : nous ne connaissons pas la nécessité qui fait qu’il est tel et non autre et non plus ; nous ne le tenons qu’empiriquement, en vertu d’une nécessité absolue, mais qui ne contient pas d’explication. Nécessité absolue empirique. C’est comme cela, nécessairement (on le sent) ; il n’y a pas d’explication : tel est le mot du spinozisme. Il n’imagine rien, il est aussi peu métaphysicien que possible ; il nous met en face d’une affirmation absolue de notre pensée comme en face d’exigences inéluctables, et pour lui ces exigences sont l’être même.

En même temps, il n’est pas purement intellectuel abstrait, comme Descartes ou Kant. C’est avec tout son être qu’il perçoit la réalité, et sa vie, son essence tout entière, en tressaille religieusement.