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J. LAGNEAU.QUELQUES NOTES SUR SPINOZA.

faisable, mais dont les derniers éléments supposent à leur tour l’histoire proprement dite, universelle, l’histoire des sentiments moraux, religieux, et des événements qui les ont déterminés. C’est par là qu’elle plonge dans le grand Tout.

I

Ce que Spinoza ne fut pas.

Spinoza et Descartes.

Sur les origines de Spinoza, l’important n’est pas la question personnelle. Spinoza ne peut rien perdre à la découverte des suggestions qu’il a pu rencontrer. Un esprit comme le sien n’emprunte pas, il s’approprie et rend méconnaissable, sauf pour les esprits superficiels qui confondent tout. La seule question personnelle qui nous intéresse est celle de savoir si Spinoza, formé autrement, avec Descartes seul par exemple, eût été ce qu’il a été. Non ; et cette question amène la question historique, à laquelle se rattache une question morale et pratique, celle de la valeur de la tradition et de la nécessité de l’érudition.

Contraste entre Spinoza et Descartes pour le point de départ. Descartes part du doute ; on n’en voit pas trace chez Spinoza. Il est, dès le principe, dans la foi. C’est qu’en lui tout vient du sentiment, de l’expérience interne. « Jésus, dit Renan, ne disputa jamais sur Dieu, car il le sentait directement en lui. » Il commence à l’épreuve de la paix du Christ, et alors il ne s’élève pas à Dieu comme Descartes, dialectiquement ; il le pose ; et c’est ce qu’on a appelé la méthode abstraite de Spinoza ! Dans ses définitions prétendues abstraites de la substance, il y a tout le contenu de son sentiment religieux. Aussi ne la démontre-t-il pas : il la pose et en redescend sans la quitter. On ne peut pas dire qu’il en déduit le monde, il les sent l’un dans l’autre. Au contraire pour Descartes, Dieu n’est qu’un Deus ex machina, jamais senti. Aussi Spinoza dés le principe vécut sa pensée. Le système de Descartes ne fut vécu que pendant six semaines.