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LA GÉOMÉTRIE

DES SENSATIONS DE MOUVEMENT



L’univers présente à chacun de nous des ensembles simultanés de sensations externes : appelons ces ensembles des perspectives. Au cours de notre vie, les perspectives se succèdent, pareilles aux grains d’un collier. Les sensations de mouvement ou de repos forment un fil qui les unit et les traverse.

Pour qu’une géométrie pût s’appliquer à l’expérience, Poincaré pensait que l’observateur devait voir des perspectives se succéder sans qu’il éprouvât de sensations de mouvement, pour pouvoir ensuite, en se donnant des sensations de mouvement, ramener les perspectives disparues. Poincaré voyait le fondement de la géométrie dans une sorte de jeu du chat et de la souris qui se passerait entre l’observateur et l’univers. L’univers s’enfuit, l’observateur le rattrape : cette « compensation des changements externes par les changements internes » fonderait l’application de la géométrie à l’expérience.

L’analyse esquissée par Poincaré n’est pas définitive, et elle peut être poursuivie dans deux directions : on peut éliminer tout mouvement de l’observateur ou tout mouvement de l’univers, tout changement interne ou tout changement externe. Si le spectacle du monde se déroulait devant un observateur immobile ou inconscient de ses mouvements, comme la représentation cinématographique d’un voyage, une géométrie s’appliquerait à ce spectacle. C’est la « géométrie des perspectives », dont on trouvera les principes dans un chapitre de l’ouvrage capital de M. Russell : Our Knowledge of the External World. Et si, au contraire, un observateur explorait par des mouvements conscients un univers immobile, une géométrie s’appliquerait encore à cette exploration.