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un objet toujours différent, elle s’arrêtera ; mais, entièrement arrêtée, elle ne pensera plus… il faut que ce qui comprend comprenne une chose, puis une autre, donc il faut que l’être pensant soit lui-même divers ; sans quoi, il n’y aura pas de pensée mais un contact, et comme une palpation, indicible, inintelligente, antérieure à l’intelligence[1]. » Plotin ne se lasse pas de répéter, et ses paroles sont évidemment dirigées contre Aristote, qu’il n’y a pas de pensée intellectuelle sans qu’elle soit en une certaine mesure un discours, sans qu’il y ait mouvement dans le sujet et multiplicité dans l’objet ; ainsi la nature de l’intelligence ne s’oppose pas moins que la nature de l’Un à ce que l’intelligence puisse comme telle appréhender l’Un. Aussi le rapport qu’elle soutient avec lui ne peut être exprimé que par des termes purement symboliques : nous venons de citer des termes empruntés au sens du tact : Plotin parle aussi d’une vision ; mais, alors, il a soin de faire remarquer que ce n’est pas d’une vision intellectuelle qu’il s’agit, mais de quelque chose de beaucoup plus simple. C’est d’ailleurs par une certaine disposition intérieure que l’intelligence arrive à cet état, et en suivant une direction précisément inverse de sa direction habituelle ; tandis qu’elle se diversifie pour connaître, il faut qu’elle s’unifie pour appréhender l’un, qu’elle se simplifie, qu’elle s’arrête et, par conséquent qu’elle ne pense plus.

Ainsi nous voyons, à mesure que la pensée de Plotin s’approfondit, les caractères positifs du principe originaire fuir toujours davantage devant l’intelligence qui essaye de l’approcher, au point que le principe finit par être privé de toute détermination intellectuelle.

Mais, dira-t-on, cette indétermination est toute relative à l’intelligence ; le principe originaire n’est pas pour cela réduit au néant ; il a seulement un mode de réalité qui échappe à l’intelligence.

Sans doute cela est exact ; Plotin n’a pas voulu sciemment réduire au néant son principe originaire ; il s’agit seulement de savoir s’il y a réussi et à quelles conditions il pouvait y réussir. C’est ce que nous allons chercher en examinant cette fois les étapes de la pensée de Plotin au sujet de l’origine prise en elle-même, et indépendamment de ses rapports avec l’intelligence. Il commence par attribuer au principe une sorte de conscience de lui-même : « il n’est pas comme un être insensible, mais tout lui appartient, tout est en lui et

  1. Enn., V, 3, 10 [48].