Page:Revue de métaphysique et de morale - 26.djvu/456

Cette page n’a pas encore été corrigée

Donc, après avoir trouvé dans l’intelligible ce qu’il y avait de plus primitif et de vraiment originaire, Plotin a une tendance à distinguer fortement l’intelligible source et origine de l’intelligible dans lequel se meut l’intelligence.

Mais cette distinction doit se marquer dans l’intelligence elle-même par l’hétérogénéité des deux rapports qu’elle a, l’un avec l’intelligible-source, l’autre avec le monde dérivé et complexe des idées. Dans son rapport avec l’intelligible source, « elle n’en reçoit aucune limite et aucune empreinte », et la raison en est que « le principe originaire est lui-même sans aucune forme, même intelligible… il n’a ni qualité ni quantité ; il n’est ni intelligence, ni âme ; il n’est ni en mouvement, ni en repos, ni dans le temps, ni dans le lieu ; il a la forme de l’unité, ou plutôt pas de forme du tout, puisqu’il est avant toute forme[1] ».

Mais l’Un, ainsi privé de toute détermination accessible à la pensée peut-il encore être dénommé intelligible. C’est sur quoi s’explique un traité ultérieur : « le Premier, y est-il dit, sera intelligible par rapport à l’intelligence ; mais en lui-même il ne sera proprement ni intelligent, ni intelligible ;… car l’intelligible n’est tel que pour un autre[2] ». Ainsi l’Un perd la dernière détermination qu’il semblait avoir pour la pensée.

Aussi Plotin est-il amené à se figurer les rapports de l’intelligence au Bien comme dune nature complètement différente des rapports qu’elle entretient avec l’intelligible ; et, finalement, il arrive à abandonner la thèse qu’il soit du tout intelligible, fût-ce seulement d’une façon relative. L’Un, dit-il maintenant, « n’est pas du tout l’objet d’une pensée ». Il est vrai que, dans le même traité, il semble admettre le contraire[3] ; mais cherchons comment il conçoit cette pensée du Bien, et nous verrons que, pour lui, l’Intelligence, en tant qu’elle pense le Bien n’est plus ou n’est pas encore intelligence, et que cette pensée n’est pas non plus à proprement parler une pensée.

C’est à cette conclusion qu’il arrive nettement dans un de ses derniers traités : « Il faut qu’il y ait plus d’une chose, dit-il, afin qu’il y ait vision ; ce qui est vu par l’intelligence est une multiplicité, et non pas absolument un… Si l’intelligence ne progresse pas vers

  1. Ibid., VI, 9, 3 [9] ; p. 510, 28 ; 512, 3, éd. Volkmann, Teubner, 1884.
  2. Ibid., V, 6, 2 [22].
  3. Enn., V, 7, [37] ; p. 469, 19 ; ibid., 40 ; 475, 1-2.