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I
Plotin.

Sur cette question, Plotin dont l’esprit est si ferme et si vigoureux, hésite cependant. C’est, comme on le sait, un des seuls philosophes de l’antiquité, dont nous connaissions avec certitude l’ordre chronologique des œuvres, grâce au secrétaire plein de soin et de piété qu’il s’était acquis en la personne de Porphyre. Ses commentateurs n’ont guère jusqu’ici profité de cette favorable circonstance. Elle nous permettra de mieux saisir, dans son développement vivant, la pensée de Plotin, sur la question spéciale qui nous occupe.

Le Bien apparaît d’abord chez lui comme l’objet d’une vision de l’âme ; il est un élément du monde intelligible, et placé au sommet de ce monde, en continuité avec le Beau qui est le terme immédiatement inférieur[1]. Le premier principe est donc un intelligible, un . Suivant les principes de Plotin, tout à fait opposé en cela à Aristote, l’intelligible est, en effet, antérieur à l’intelligence qui le saisit ; sans lui la pensée resterait tout à fait indéfinie, et ne serait pas plus déterminée que la vue qui n’aurait aucun objet visible.

Mais le Bien, en tant qu’origine et principe, est-il un intelligible, au même titre et dans le même sens que les autres intelligibles ? C’est ce qu’il avait paru admettre dans le texte auquel nous venons de renvoyer, et où il n’introduit entre le Beau et le Bien qu’une différence de degré. C’est ce qu’il nie complètement dans un traité postérieur[2] où il distingue trois espèces d’intelligibles : d’abord le Bien, l’intelligible qui est avant l’intelligence et vers lequel elle est tournée ; « il reste en lui-même, il n’a aucun besoin, tandis que ce qui voit et ce qui pense ont besoin de lui ». Le deuxième intelligible est l’intelligence elle-même qui est une imitation et une image de l’intelligible. Enfin le troisième, c’est le monde intelligible, les idées dans toute leur variété et leur complexité, variété à travers laquelle se meut l’intelligence en acte. Cette complexité même montre que nous avons, dans le monde intelligible, un être dérivé et non originaire.

  1. Ennéades, I, 6 [1]. Le chiffre entre crochets indique la place du traité dans l’ordre chronologique, suivant les données de la Vie de Plotin, par Porphyre.
  2. Ibid., V, 4, 2 [7].