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l’avons déjà dit, qu’il n’avait pas en lui-même conscience de cette action extérieure, et qu’il ait plus d’une fois exagéré l’originalité de ses découvertes, — c’est par la même erreur, par la méconnaissance de ce même courant, que ses accusateurs, comme Leibniz, ont été si souvent conduits à parler de plagiat. Et pourtant, puisque nous avons prononcé le nom de celui dont le réquisitoire contre Descartes a été le plus sévère, comment celui-là a-t-il pu oublier les injures dont l’accablaient lui-même les amis trop zélés de Newton, Incapables d’expliquer autrement que par un vol ses travaux sur le Calcul infinitésimal, faute de saisir le mouvement naturel qui, chez les Mathématiciens du xviie siècle, devait normalement y aboutir ?

Moins graves sans doute, mais tout de même assez troublantes pour qui s’interroge sur la sincérité de Descartes, sont les allusions si fréquentes de ses commentateurs à ses habiletés, à son souci exagéré de prudence, aux formules ou même aux théories qui ne seraient de sa part que simples précautions, soit pour écarter quelque ennemi, soit pour faire mieux accepter telle partie, plus importante à ses yeux, de son système. Les exemples abondent chez les historiens de la pensée cartésienne : c’est une première raison pour que nous n’ayons pas besoin d’entrer ici dans les détails. Mais il en est une seconde, beaucoup plus sérieuse : c’est que de semblables soupçons impliquent ordinairement une certaine interprétation du système, laquelle à son tour suppose a priori une confiance très limitée dans la sincérité de Descartes. Or, c’est justement cette dernière supposition que je ne juge pas nécessaire.

Il faut ici pourtant faire une exception. Il est des cas où l’attitude de notre philosophe semble exclure nettement l’hypothèse d’une franchise parfaite : c’est quand il se trouve aux prises avec quelque problème touchant de près ou de loin aux controverses religieuses, quand par exemple, pour citer tout de suite le cas le plus grave, il veut faire prévaloir, dans les Principes, la formule de l’immobilité de la Terre. Si une fois, une seule, il était prouvé que le savant qu’était Descartes a sacrifié la vérité scientifique au souci de sa tranquillité, s’il s’était rendu coupable de cette lâcheté, comme semblent n’en avoir pas douté ceux mêmes qui ont eu le plus à cœur de le glorifier, Millet par exemple, — aucune raison ne serait plus valable pour justifier ailleurs notre croyance à sa bonne foi. — Et c’est pourquoi, loin d’observer ici un silence prudent, ou de jeter comme tant d’autres un manteau pudique sur cette faiblesse du grand penseur, il