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tance[1] — je ne connais pas une seule accusation s’appuyant sur d’autres preuves que la ressemblance des résultats. Or s’il est une leçon qui se dégage avec quelque netteté de l’Histoire des Sciences, c’est la constatation d’une sorte de courant, dominant plus ou moins, à une même époque, les recherches individuelles, et qui, tout en se formant de la variété indéfinie des efforts des savants, les conduit aux mêmes vérités.

Sans doute, pour comprendre la possibilité de semblables rencontres, on doit supposer deux sortes de conditions également indispensables. D’une part, chez les savants eux-mêmes, il faut admettre des dispositions, qui s’adaptent avec une certaine aisance au mouvement naturel des sciences qu’ils étudient, un tempérament de géomètre, ou de physicien, ou de naturaliste, spontanément impressionné par les suggestions les plus délicates, les moins apparentes pour le vulgaire. Disons tout de suite, comme nous serons amenés à le constater dans ces études, que ce fut à un degré qu’on ne soupçonne pas assez, le cas de Descartes. D’autre part il faut un milieu à travers lequel se propagent les idées. Il suffit de lire la correspondance de Descartes et du P. Mersenne pour sentir à quel point ce milieu se trouve constitué autour de notre philosophe, bien avant l’existence des points de concentration que devaient être les Sociétés savantes et les Revues. Nous imaginons sans peine ce que pouvaient être, à côté de ces échanges de lettres, les conversations familières avec les savants français ou hollandais : un échantillon nous en est, du reste, fourni par le Journal de Beeckmann. Puis il y avait les livres. Sans parler de ceux des anciens, on sait l’admiration que témoigne Descartes pour ceux de Harvey et de Kepler ! A quoi bon vouloir en outre qu’il ait connu parleurs écrits tous les travaux de ses prédécesseurs immédiats ou de ses contemporains, quand il nous dit lui-même qu’il ne les a jamais vus, ou quand nous pouvons constater, aux aveux que contiennent ses lettres, de quel œil distrait il parcourt ceux qu’on lui communique ? Ce qui pouvait avoir pénétré jusqu’à lui du travail collectif des savants, par les seules habitudes intellectuelles dont il avait composé sa vie, était suffisant pour amener son esprit, qui y était si naturellement disposé, à rejoindre et souvent dépasser le mouvement spontané de la science de son temps. S’il est vrai, comme nous

  1. Cette question est traitée dans le chapitre v du livre dont la présente étude est l’Introduction, et qui concerne les travaux d’optique de Descartes. — Cf. Descartes et la loi des Sinus, Revue générale des Sciences, 30 mars 1907.