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celle de la plupart des commentateurs, je dirai très simplement que je crois, plus sans doute qu’on n’y a cru jusqu’ici, à la sincérité de Descartes.

Expliquons-nous. Si pour reconstruire l’histoire de sa pensée, et en particulier l’origine de ses conceptions, on s’en fiait purement et simplement à ses affirmations, on risquerait souvent de faire fausse route. D’abord il n’a pas conscience, — en quoi il ressemble à beaucoup d’autres créatures humaines, — de l’apport dans son esprit du temps et du milieu où il vit, et il exagère son originalité à propos d’idées qu’a mûries le travail collectif de ses contemporains. Non seulement il ne voit pas alors tout ce qu’il reçoit du dehors, mais tout naturellement il croit pouvoir montrer comment y ont abouti ses efforts les plus personnels, comment l’y ont conduit, par exemple, sa Méthode ou sa Métaphysique. Ce sont là des constatations qu’il est permis défaire sans incriminer le moins du monde sa bonne foi.

Il est aisé, d’autre part, de noter un assez grand nombre de circonstances où Descartes volontairement ne donne pas sa pensée complète.

Tels sont d’abord les cas où il se refuse à indiquer au lecteur ou à quelque correspondant comment il est parvenu à d’intéressants résultats mathématiques. Ses lettres à cet égard fourmillent d’exemples. L’insistance du P. Mersenne ou de tel autre de ses amis le fait parfois sortir de sa réserve, comme pour les problèmes de la Cyloïde et pour les courbes de de Beaune, mais le plus souvent nous pouvons parcourir toute sa correspondance sans être renseignés sur les chemins qu’il a suivis. Dans tous ces cas, il nous le dit lui-même, il se refuse à donner des armes à ses rivaux, — à ceux par qui, à tort ou à raison, il se croit sans cesse provoqué. — en faisant connaître les méthodes qui lui ont servi.

Mais même quand il accompagne l’énoncé de quelque vérité d’une démonstration complète, il nous est permis de douter que celle-ci l’ait vraiment conduit à celle-là ; rien n’empêche, sans mettre en cause sa bonne foi, et quoiqu’il n’en dise rien lui-même, de supposer la démonstration construite après coup. On en trouvera un exemple saisissant à propos de la loi de la réfraction, et de la démonstration qu’en donne la Dioptrique. Pas plus qu’à Fermât, il ne nous paraît admissible que la loi des sinus ait pu jaillir dans la pensée de Descartes d’une semblable démonstration, et on s’explique que la même