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En second lieu, reconnaissons-le : le ton sur lequel on a parlé du rôle scientifique de Descartes, a été fort peu scientifique lui-même, et n’a pu atteindre, après bientôt trois siècles, la véritable impartialité que réclame l’Histoire.

D’un côté on se croit obligé à un panégyrique constant. De Baillet à Alfred-Fouillée, en passant par Bordas-Desmoulins, c’est la même note. Tout est parfait, tout est admirable dans les idées dont Descartes a enrichi les sciences humaines ; dans les disputes où nous le trouvons engagé avec quelques-uns de ses contemporains, c’est toujours lui qui voit juste. Le progrès naturel des idées semble parfois lui apporter un démenti : Newton, par exemple, semble réduire à néant une partie de sa Physique, comme Leibniz semble au moins corriger sa Mécanique. — Erreur ! Tous ceux qui sont venus après lui n’ont fait que développer les germes nouveaux, qu’en initiateur, en créateur, il était venu répandre sur les ruines de la science antérieure… Ce n’est pas seulement la philosophie, c’est, dans tous les ordres d’idées, toute la science moderne qui est suspendue, comme à son premier anneau, aux recherches de Descartes.

Et d’un autre côté, il faut voir la sévérité avec laquelle ces recherches sont appréciées par certains esprits qu’effraie la Métaphysique de leur auteur, depuis Voltaire jusqu’à M. Léon Bloch, ou par des historiens vraiment trop partiaux comme Poggendorf… Tous ne vont pas jusqu’à répéter avec Voltaire que les efforts de Descartes n’ont abouti qu’à retarder de cinquante ans le progrès de la Science humaine, — mais tous insistent sur l’insuffisance de ces efforts auxquels manquaient par trop les caractères de la vraie positivité[1].

Est-ce à dire qu’il ne s’est pas trouvé, pour apprécier les travaux scientifiques de Descartes, des hommes à la fois compétents et impartiaux ? Ce serait oublier les excellentes études de Bonasse et de Duhem sur quelques questions de mécanique, les notes dont Paul Tannery a enrichi la Grande Édition, les notes historiques et critiques de Pierre Boutroux sur la Géométrie analytique, et pardessus tout, pour remonter plus haut, les précieuses indications de Montucla, dans son Histoire des Mathématiques et de la Physique, indications où ont si abondamment puisé les récents historiens des

  1. Comte fait ici exception : mais c’est dans la logique de son système. [Note de G. Milhaud.]