La pathologie, qui souvent éclaire l’étude de l’être normal, en isolant et exagérant quelqu’une de ses fonctions naturelles, a, de plus en plus nettement, révélé une étrange faculté de la conscience humaine : la possibilité, chez certains sujets, d’entrer en communication avec d’autres consciences, qui se mêlent plus ou moins, parfois même se substituent à la conscience première. La conscience, dans ces phénomènes, ne perçoit plus des objets extérieurs, comme il arrive dans l’expérience physique ; elle n’est plus enfermée dans les limites d’un moi, comme dans l’expérience psychologique pure et simple : elle pénètre dans d’autres moi, et elle s’ouvre à leur influence.
Cette propriété, qu’apparemment la maladie ne crée pas, mais qu’elle détermine simplement de manière à la rendre manifeste, est, selon James, la base psychique de la vie religieuse.
La religion est essentiellement une certaine vie de la conscience individuelle, où le moi se sent modifié jusque dans son fond. C’est une expérience, au sens anglais du verbe to experience, qui veut dire, non constater froidement une chose qui se passe en dehors de nous, mais éprouver, sentir en soi, vivre soi-même telle ou telle manière d’être, et qui répond assez exactement à l’allemand erleben. C’est donc une expérience qui varie avec les individus, et dont l’élément individuel ne peut être retranché sans que le caractère religieux n’en disparaisse du même coup. Si l’unité dans la multiplicité caractérise la conscience psychologique, la modification radicale d’une personnalité donnée est de l’essence du phénomène religieux. Il n’y a donc pas une expérience religieuse en soi, susceptible d’être identique pour tous les hommes, comme l’est sensiblement l’expérience scientifique. Ce qui est effectivement, ce qui seul compte pour un philosophe qui part des réalités et non des concepts, ce sont les variétés individuelles de l’expérience, c’est-à-dire de la vie, religieuse.
Parmi les thèmes propres à ces expériences, on peut noter : la joie essentielle et inébranlable de l’âme ; la guérison de maladies morales ou physiques obtenue par l’abandon de soi-même à la toute puissante bonté qui gouverne l’univers : le sentiment du péché et de la souffrance morale, comme déterminé par des causes sur lesquelles nous n’avons point prise ; la division intérieure de l’âme, sentant vivre en elle-même des personnalités contraires, qu’elle ne peut concilier ; la conversion, qui, brusque ou lente, substitue, à une