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revue de métaphysique et de morale.

Pouvons-nous souscrire à cette condamnation définitive ? Je ne le crois pas et je vais essayer de montrer pourquoi.

II

Ce qui nous frappe d’abord dans la nouvelle mathématique, c’est son caractère purement formel : « Pensons, dit Hilbert, trois sortes de choses que nous appellerons points, droites et plans, convenons qu’une droite sera déterminée par deux points et qu’au lieu de dire que cette droite est déterminée par ces deux points, nous pourrons dire qu’elle passe par ces deux points ou que ces deux points sont situés sur cette droite. » Que sont ces choses, non seulement nous n’en savons rien, mais nous ne devons pas chercher à le savoir. Nous n’en avons pas besoin, et quelqu’un qui n’aurait jamais vu ni point, ni droite, ni plan pourrait faire de la géométrie tout aussi bien que nous. Que le mot passer par, ou le mot être situé sur ne provoquent en nous aucune image, le premier est simplement synonyme de être déterminé et le second de déterminer.

Ainsi c’est bien entendu, pour démontrer un théorème, il n’est pas nécessaire ni même utile de savoir ce qu’il veut dire. On pourrait remplacer le géomètre par le piano à raisonner imaginé par Stanley Jevons ; ou, si l’on aime mieux, on pourrait imaginer une machine où l’on introduirait les axiomes par un bout pendant qu’on recueillerait les théorèmes à l’autre bout, comme cette machine légendaire de Chicago où les porcs entrent vivants et d’où ils sortent transformés en jambons et en saucisses. Pas plus que ces machines, le mathématicien n’a besoin de comprendre ce qu’il fait.

Ce caractère formel de sa géométrie, je n’en fais pas un reproche à Hilbert. C’était là qu’il devait tendre, étant donné le problème qu’il se posait. Il voulait réduire au minimum le nombre des axiomes fondamentaux de la géométrie et en faire l’énumération complète ; or dans les raisonnements où notre esprit reste actif, dans ceux où l’intuition joue encore un rôle, dans les raisonnements vivants, pour ainsi dire, il est difficile de ne pas introduire un axiome ou un postulat qui passe inaperçu. Ce n’est donc qu’après avoir ramené tous les raisonnements géométriques à une forme purement mécanique, qu’il a pu être certain d’avoir réussi dans son dessein et d’avoir achevé son œuvre.

Ce que Hilbert avait fait pour la géométrie, d’autres ont voulu le