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G. LANSON.Droit du père de famille et droit de l’enfant.

gions et les morales ? Ont-ils la capacité de juger, de choisir ? Leur étaler sous les yeux toutes les opinions humaines, leur offrir le pour et le contre de tous les problèmes positivement insolubles, est-ce possible ? Est-ce sain ? Quel chaos dans ces pauvres têtes enfantines ! Que peut-il sortir de là, sinon l’étourdissemenl intellectuel, et finalement l’impuissance de choisir, l’impuissance d’agir, le scepticisme ou la débilité ? L’école doit en etTel former la capacité de choisir, mais elle la forme sur d’autres objets, sur d’autres problèmes, plus étroitement définis, et plus à la portée des enfants. Ce n’est qu’après le lycée, entré dans la vie, libre et responsable de lui-même, que l’individu utilisera sa formation intellectuelle, s’il en sent le besoin, à l’examen et à la revision des affirmations religieuses et sentimentales. Dieu et l’âme ne sont des matières d’entretien avec des gamins, que lorsqu’on veut les établir par les méthodes de l’autorité et de l’habitude[1]. c Je ne suis donc satisfait d’aucune des deux formules que je découvre, en voulant préciser la notion indécise du droit de l’enfant. L’une substituant l’État à l’Église, détruit le droit du père sans respecter le droit de l’enfant ; elle enferme les jeunes esprits dans la doctrine définie par l’autorité civile, elle ne les émancipe pas, elle change seulement leur sujétion. L’autre utilise une liberté, une raison qui n’existent pas encore, elle invite l’enfant à faire une œuvre d’homme, et dont bien des hommes sont incapables. L’une opprime, et l’autre gâte les esprits.

Ce qui fait la difficulté, c’est que le droit de l’enfant est le droit d’une personne morale qui n’est pas faite encore, d’une personne en formation. Il s’agit de respecter, de protéger quelque chose qui sera, qui pourra être dans l’avenir, une puissance, une espérance. Il s’agit d’aider cette puissance, cette espérance à se réaliser, de traiter le germe d’homme de façon à ne pas gêner, à favoriser l’épanouissement de l’homme. De cette considération doit sortir le régime qu’on appliquera à cet embarrassant droit de l’enfant. Le droit de l’enfant est d’être un jour un homme, une personne libre, autonome, capable de choisir ses actes, ses principes d’action, de distinguer la

  1. J’excepte la classe de philosophie qui, je l’ai déjà dit, au terme des études secondaires, est une préparation à l’activité libre et à la réflexion indépendante de l’âge adulte. Il ne doit pas y avoir de dogme dÉtat ni de prosélytisme du professeur dans cette classe plus que dans les autres, mais libre dialogue de l’homme mûr et des adolescents, libre examen et discussion d’idées : respect, tolérance, mais liberté.