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G. LANSON.Droit du père de famille et droit de l’enfant.

bon à M. Brunetière, qu’il n’en veut pas, et que de réduction en réduction, par une admirable dialectique, il arrive à concevoir le droit de l’enfant comme un droit d’être livré tout entier, sans réserve et sans garantie, à l’autorité et à l’affection paternelle, comme un droit d’être fait tout ce qu’il plaira au père : si bien qu’à la fin de ces prestigieuses analyses, le droit de l’enfant est escamoté, volatilisé, annulé : il ne reste que le droit du père[1], et tout ce que nous avons lu du droit de l’enfant, du droit que seule la religion sait fonder, ne sert qu’à renforcer le droit paternel, à le rendre plus sacré, plus absolu, plus intangible. Mais c’est un signe notable de l’impossibilité morale où tout penseur sérieux se trouve aujourd’hui de nier le droit de l’enfant, que cette reconnaissance hautaine qu’en fait M. Brunetière, pour n’en rien tirer ensuite et s’en débarrasser subtilement.

Il semble donc que s’il ne s’agissait que de dresser une déclaration des droits, on se mettrait assez aisément d’accord pour inscrire à la fois le droit du père et le droit de l’enfant. La difficulté commence dès qu’on veut marquer la limite de chacun de ces droits, dès qu’on veux passer d’une définition formelle à une précision matérielle, et déterminer un contenu réel, des conditions pratiques d’exercice. Là-dessus, on ne s’entend plus du tout.

La thèse des catholiques et de leurs alliés, c’est que le droit du père de famille ne peut s’exercer, s’il n’y a plusieurs écoles entre lesquelles il choisit les maîtres auxquels il confiera ses enfants. « Pour que la famille puisse choisir l’école qui lui convient, dit M. Ch. Dupuy, sénateur libéral, il faut qu’il y ait plusieurs écoles[2] ». Ne faut-il pas, demande M. Vidal de Saint-Urbain, sénateur catholique, que celui qui est partisan de la libre pensée et celui qui veut l’enseignement religieux puissent choisir leurs écoles[3] ? » C’est-à-dire que chaque secte, chaque église aura ses écoles, ses collèges. La liberté du père de famille se réalise, est garantie par le régime des écoles confessionnelles. En réclamant des écoles catholiques, on semble admettre que l’école laïque, le lycéede l’État ne sont pas des établissements non-confessionnels, où l’éducation forme des hommes

  1. « Le droit de l’enfant… c’est d’être « élevé » par son père…. Et si l’on me dit qu’ici je confonds le « droit de l’enfant » avec le « droit du père de famille », je réponds que je n’ai fait tout ce discours que pour montrer que j’en avais le droit. » (Débats du 19 janvier.)
  2. Abrogation de la loi Falloux, 13.
  3. Ibid.