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G. LANSON.Droit du père de famille et droit de l’enfant.

On est d’autant moins tenté de nier le droit du père qu’il s’exerce journellement sous nos yeux : c’est une réalité tangible.

Vous ne fermerez pas la grande école de la famille, répondait M. Clemenceau à M. Lintilhac…. Vous n’empêcherez pas que le père, dans l’esprit de l’enfant qui ne demande qu’à se confier à ceux qui l’aiment, à ceux qu’il voit tous les jours s’intéresser à sa vie, ne puisse, d’un mot juste ou faux, barrer tout l’enseignement édifié dans votre journée[1].

Le droit de l’enfant n’a pas cet avantage d’être un fait facile à constater : il n’est pas saisissable dans l’ordre des réalités. L’enfant n’a pas le moyen de l’exercer, de le faire respecter : il n’en a pas conscience, et s’il résiste parfois à la puissance paternelle, c’est une tentation de son instinct, un essai de sa force, non une revendication de son droit. Le droit de l’enfant est une très moderne conception : il a contre lui la tradition juridique de la patria potestas ; il a contre lui des habitudes séculaires.

Les parents sont les auteurs de l’enfant : « Le fils est par nature quelque chose du père. Films est naturaliter aliquid patris » (Saint Thomas). « Il est en quelque sorte une extension de sa personne » (Léon XIII, Eucycl. Rerum novarum). Le droit des parents, leur autorité (Jus auctoritatis) a donc comme le mot l’indique (auteur, autorité) le fondement le plus solide ; il repose sur la nature même des choses ; il « prend sa source là où la vie prend la sienne » (Léon XIII, ibid)[2].

Et me reprochant d’avoir lié le père à l’enfant par un devoir, le même auteur ajoutait :

M. Lanson oublie qu’antérieurement à ce devoir le père a sur son enfant le droit que la production confère à la cause productrice, le droit d’auteur[3].

Ainsi le père a sur l’enfant le droit du producteur sur le produit, un droit de propriété !

Tous les artifices logiques n’arrivent pas à dissimuler que cette dure conception n’est autre chose qu’une survivance de l’organisation de la famille dans les sociétés primitives. Un paysan italien, dans la dernière pièce de M. d’Annunzio, l’énonce en toute sa force :

Lazaro (à Alizi). Je suis ton père, et de toi, je peux faire ce qu’il me plaît, car tu es pour moi comme le bœuf de mon étable, comme mon hoyau et ma bêche. Et quand même je voudrais te passer dessus avec la herse, et

  1. Abrogation de la loi Falloux, p. 308.
  2. G. Sortais, La Crise du libéralisme et la liberté de l’enseignement, p. 85.
  3. Ibid., no 4.