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revue de métaphysique et de morale.

Le droit du père de famille est bien grand, je le sais, disait Cousin : mais tout grand qu’il est, il n’est point absolu et illimité en lui-même… Le père de famille est chez lui instituteur, comme il est législateur, comme en certains cas il est prêtre. Il est tout cela, mais dans une certaine mesure. Il dispose, à son gré, de son enfant ; mais, s’il le maltraite, la société intervient. Qu’il le maltraite moralement en quelque sorte, qu’il lui donne ou lui fasse donner des leçons affreuses, la société indignée pourrait encore intervenir. Ainsi, même au foyer domestique, le droit paternel a des limites[1].

Et M. Lintilhac, mousquetaire fougueux de la démocratie, crie au père de famille une vibrante injonction :

Halte-là ! ta liberté finit où celle de ton enfant commence[2].

Le droit de l’enfant est donc seulement posé comme une limitation du droit du père. On ne lui donne pas un contenu positif : on exprime simplement, en l’énonçant, l’idée que le père ne peut pas tout sur l’esprit plus que sur le corps de son enfant. Peut-être en son vague cette définition est-elle la meilleure : car elle traduit bien le sentiment qui est la réalité morale sur laquelle le droit de l’enfant est solidement fondé.

Si l’on s’en tient à ces définitions formelles, on peut dire que l’existence des deux droits n’est pas contestée. Si M. Lintilhac a été conduit par Aristote jusqu’à la négation du droit du père et l’attribution des enfants à l’État, il ne paraît pas que sa thèse ait été adoptée par la majorité républicaine du Sénat ; les défenseurs même du monopole, ceux qui en quelque mesure que ce soit veulent limiter la liberté de l’enseignement, commencent presque tous par reconnaître un droit au père de famille. M. Lintilhac même laisse au père les domaines du sentiment et de la foi, et par là un droit perpétuel d’intervention dans la formation de la personne morale de l’enfant. « Le père de famille, écrit M. Jacob, a sûrement son mot à dire sur l’éducation qu’il convient de donner à son fils ; et s’il en est parmi nous pour qui cette vérité a cessé d’être claire, je suis convaincu qu’elle brillerait à leurs yeux de la plus éclatante évidence le jour où ils subiraient l’obligation de confier leurs enfants à des congréganistes[3]. » Cette remarque suffit pour dissiper bien des raisonnements.

  1. Cité par M. Béraud, Abrogation de la loi Falloux, Éd. Cornély, 1904, p. 33.
  2. Ibid., p. 110.
  3. Rev. de Métaph., janvier 1903, p. 109.