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limites ne laisse rien à désirer au point de vue de la rigueur mathématique et qu’en réalité elle se ramène à un raisonnement par l’absurde, identique à la méthode par exhaustion des anciens. Il voit également que cette méthode est la seule voie qui puisse conduire à la certitude logique et que la méthode infinitésimale ne participe à cette certitude que parce qu’à un certain point de vue elle n’est pour ainsi dire que « la traduction de la première ». L’infirmité de notre nature nous impose donc cette méthode indirecte mais seulement pour faire les premiers pas : « On ne peut donc se dispenser de mettre en évidence, dans les cas les plus simples, l’identité des résultats des deux méthodes, mais une fois cette traduction bien comprise, il convient de s’abandonner à la méthode infinitésimale… » Servons-nous donc de la méthode indirecte pour remonter une bonne fois aux principes ; mais hâtons-nous de revenir, aussitôt que nous le pouvons, à la méthode directe, à la méthode conforme à l’ordre rationnel, à celle qui nous fait connaître les véritables raisons des choses.

On peut se demander quel sens Cournot attache à ce mot de raison, mais il prend soin de nous l’expliquer et de distinguer la raison de la cause. « La cause, dit-il, a une double origine, physique et psychologique ; tandis que les idées de la raison et de l’essence des choses pourraient résider dans une intelligence qui n’aurait pas la même constitution psychologique. » Ainsi la cause est quelque chose de relatif, qui dépend de la constitution psychologique du sujet pensant ; la raison, au contraire, est indépendante du sujet ; elle est quelque chose d’absolu. Pour Cournot, qui n’hésite pas à croire à un monde extérieur dont l’existence est tout à fait indépendante du sujet, cela veut dire que la cause n’est qu’une apparence et que la raison est la réalité.

Un trait intéressant de cette conception, c’est que toutes les vérités ont leur raison, aussi bien les théorèmes mathématiques que les phénomènes physiques, tandis que ces derniers seuls ont leur cause. Quand on dit donc que c’est dans l’infiniment petit qu’il faut rechercher la raison des faits relatifs aux quantités finies, cela ne doit pas s’entendre seulement des faits physiques, mais également des vérités géométriques. Après le passage que nous citons plus haut et où Cournot affirme que les infiniment petits existent dans la nature, il ajoute :

« Du reste, ces remarques ne concernent pas exclusivement les