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H. POINCARÉ.COURNOT ET LE CALCUL INFINITÉSIMAL.

tiques. Une fonction quelconque étanl donnée, on peut toujours trouver une fonction analytique qui en diffère aussi peu que l’on veut. Ainsi le physicien peut toujours appliquer les règles du calcul infinitésimal sans craindre un démenti de l’expérience.

C’est assez pour le physicien, ce n’est pas assez pour le philosophe, et c’est pour cela que d’autres conceptions ont été proposées. Ainsi le monde donné est un continu physique, et les savants supposent que le monde réel est un continu mathématique, mais quelques métaphysiciens ont préféré admettre que le monde est discontinu. Tel est, par exemple, la pensée de M. Evellin ; le temps réel serait formé d’instants discrets ; l’état du monde serait encoret susceptible d’être défini par les valeurs attribuées à certaines variables ; mais ces variables ne peuvent parcourir l’échelle continue de la grandeur mathématique, elles ne peuvent prendre que des valeurs entières, elles passent de l’une à l’autre par sauts brusques. La loi lie alors l’état actuel du monde à son état à l’instant immédiatement ultérieur, mais le sens de ce mot n’est plus le même que tout à l’heure, ce n’est plus l’instant qui diffère de l’instant antérieur d’une quantité aussi petite qu’on le veut. C’est dans les instants discrets dont est formé le temps réel, celui qui vient immédiatement après l’instant et qu’il faudrait noter . M. J. Bertrand lui-même, dans une discussion avec M. Boussinesq, avait paru admettre une idée du même genre.

On pourrait aussi concevoir que le monde réel, comme le monde donné, est un continu physique et il faudrait modifier en conséquence l’idée de loi ; cela ne serait pas aussi simple qu’avec le système de M. Evellin, et il serait difficile sans doute de donner à cette idée une forme mathématique et de la rendre compatible avec le déterminisme absolu.

Pour faire comprendre quelle est en face de ces problèmes la position de Cournot, le mieux est, je crois, de commencer par quelques citations.

« Effectivement, dit-il (Théorie des fonctions, t. I, page 81), si nous pouvions comparer, dès le début, la méthode des limites et la méthode infinitésimale, nous verrions que toutes deux tendent au même but, qui est d’exprimer la loi de continuité dans les variations des grandeurs, mais qu’elles y tendent par des procédés inverses. Dans la première méthode, étant donnée une question sur des grandeurs qui varient d’une manière continue, on suppose d’abord