Eudoxe. — Et pourrais-je vous faire comprendre ce que c’est que trois avant de vous avoir fait comprendre ce que c’est que deux ?
Ariste. — Comment le pourriez-vous ?
Eudoxe. — Et ainsi peu à peu je vous apprendrais à connaître et à reconnaître des nombres de plus en plus compliqués ?
Ariste. — Oui.
Eudoxe. — En les composant de nombres plus simples ?
Ariste, — Oui.
Eudoxe. — Et il se pourra que vous éprouviez du plaisir à reconnaître un nombre ?
Ariste. — Pourquoi non ?
Eudoxe. — Mais dirons-nous que celui qui sait reconnaître un nombre ne sait pas pour cela ce que c’est que le plaisir de reconnaître un nombre, s’il ne l’a éprouvé ?
Ariste. — Je n’ose pas dire, Ariste, que ce plaisir là soit réellement séparable de la connaissance même du nombre, puisqu’on ne peut l’éprouver sans elle.
Eudoxe. — Sentir et penser seraient donc ici deux aspects d’une même chose ?
Ariste. — Oui puisqu’ici l’on ne peut sentir sans penser.
Eudoxe. — Si maintenant je frappe sur la table d’une certaine façon, tantôt frappant plus fort, tantôt moins, selon une règle, ne comptez-vous pas un nombre ?
Ariste. — Si fait ; en ce moment je compte aisément le nombre deux.
Eudoxe. — Pouvez-vous éprouver du plaisir en reconnaissant ce nombre ?
Ariste. — Assurément oui, quoique ce plaisir ne dure pas longtemps.
Eudoxe. — Et vous convenez avec moi que ce n’est pas le bruit qui est agréable, mais bien le nombre que le bruit vous excite à reconnaître.
Ariste. — J’en conviens.
Eudoxe. — Me voilà donc en mesure, Ariste, de vous préparer des plaisirs toujours renouvelés. Car je vous ferai reconnaître de proche en proche d’autres nombres et d’autres groupes de nombres.
Ariste. — Cela est possible.
Eudoxe. — Je saurai comment vous tenir en haleine, et comment renouveler en vous le plaisir de comprendre.