D’autre part, puisque la méthode de la science est unique et uniforme, qui a pénétré l’esprit de cette méthode possède dans sa forme générale la science humaine. Faudra-t-il croire qu’une telle possession suffise ? Non, cette liberté toute formelle à laquelle aboutit l’idéalisme de la psychologie subjective n’est en réalité qu’un moyen ; cultiver ce prétendu transcendantalisme qui, sous prétexte de s’élever au-dessus de toute vérité limitée, s’isole de l’univers qu’il dédaigne et qui lui échappe, c’est faire le vide autour de l’esprit, c’est demander la liberté au néant de la pensée. Liberté signifie activité, fécondité, plénitude ; il faut aller de la science à la liberté, et savoir revenir de la liberté à la science, afin d’étudier sans cesse par de nouvelles conquêtes le domaine soumis à la juridiction de la raison. La continuité de cet effort intellectuel, l’accumulation des découvertes positives assureront seules à la science la direction morale de l’humanité, parce que seules elles lui permettront de résoudre peu à peu toutes les questions que l’humanité s’est posées. C’est une erreur de croire, avec le positivisme, que les progrès de la raison humaine, en détruisant les anciennes hypothèses, ont supprimé par là même les problèmes qui les avaient suggérées ; au contraire, en limitant le nombre des solutions possibles, ils ont rendu le besoin d’une solution plus pressante. Il serait dangereux par suite de prétendre ignorer des sentiments tels que les sentiments moraux et religieux qui sont la conquête la plus précieuse et la plus certaine de la civilisation, sous prétexte que ces sentiments, ne pouvant être justifiés par une expérience immédiate, ne trouvent pas de place dans l’organisaiion actuelle de la science positive. La véritable science, elle, n’est étrangère à rien de ce qui est humain, elle n’exclut qu’une chose qui est l’exclusion même. Elle sera donc œuvre de réconciliation, source de richesse et de paix intellectuelles. Le savant, à mesure qu’il approfondira sa notion de la nature, comprendra ce que l’ignorant osait appeler le surnaturel, il atteindra le divin à force d’humanité ; car le surnaturel n’est, au fond, qu’un aspect parmi les multiples aspects de l’univers, car le divin ne peut être une réalité distincte de ce qui existe, c’est le meilleur de l’homme même, c’est l’esprit dans son intégrité et dans sa perfection. Au terme de la science, la morale et la religion qui, un instant, avaient été niées, parce qu’elles avaient elles-mêmes commencé par nier, seront l’objet d’une affirmation plus éclairée, partant plus sincère et plus profonde ; la plus haute fonction de l’intelligence sera d’affermir l’amour et de justifier l’adoration.
Ainsi l’antagonisme apparent de la raison et de la foi se résout dans une harmonie : celui qui, après avoir vécu de la vie chrétienne, et s’être cru appelé à préparer le salut de l’humanité, s’est tourné vers la science, pour demeurer sincère avec lui-même et connaître la vérité, n’a rien sacrifié de ce qui était en lui sacré et divin ; au contraire, il a trouvé dans la discipline nouvelle un instrument plus sûr pour satisfaire aux exigences les plus élevées de notre nature, pour préparer « l’organisation de l’humanité », qui prépare elle-même « l’organisation de Dieu ». En se consacrant au développement de la science, en particulier de celles des sciences qui, joignant à la certitude de la méthode positive l’intérêt moral que présente une étude intégrale de l’humanité, forment le trait d’union entre l’esprit de raison et