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le raisonnement : ni plus grand, ni plus petit, donc égal, que réprouve M. Renouvier. C’est que, pour définir l’inégalité de deux grandeurs, on n’a besoin que d’avoir défini l’égalité et la somme de deux grandeurs de la même espèce, et, loin d’impliquer la possibilité de la mesure, cette définition de l’inégalité est encore une des conditions nécessaires pour qu’une grandeur soit mesurable.

De tous les postulats énumérés par M. Renouvier, il ne subsiste que le postulat de la circonvolution ; encore faut-il remarquer que cette forme intuitive du postulatum d’Euclide n’est pas la plus simple ni la plus claire. Il vaut mieux, selon nous, l’énoncer comme suit : « Par un point pris hors d’une droite on peut mener une parallèle, et une seule, à cette droite. » Il est vrai que sous cette forme le postulat des parallèles perd son caractère synthétique ; mais il a l’avantage, aux yeux des géomètres, de distinguer nettement l’espace euclidien de l’espace de Riemann, où l’on ne peut mener aucune parallèle à une droite donnée, et de l’espace de Lowatchewski, où l’on peut en mener une infinité.

En revanche, M. Renouvier considère comme un jugement analytique cette proposition : « Il n’existe qu’une droite passant par deux points donnés » ; et pour le montrer, il invoque l’idée de la direction, qui en implique l’unicité. Or il semble bien que l’idée de direction n’est autre que l’idée de la droite elle-même ; donc, si l’on admet que la direction qui va d’un point à un autre est unique, on suppose précisément ce qui est en question. De plus, en définissant la droite par la direction, on lui donne un sens qui n’est pas un élément essentiel de cette figure ; on lui assigne arbitrairement une origine et un terme, on en fait ce qu’on nomme en géométrie analytique un vecteur ou une quantité dirigée. Outre l’inconvénient logique qu’il y a à compliquer inutilement une notion simple, et à y introduire une détermination qui lui est primitivement étrangère, cette définition, au lieu de supprimer un postulat, en rend nécessaire un autre, qui paraît superflu à M. Renouvier, à savoir que la direction qui va de A en B coïncide avec celle qui va de B en A. Enfin, si l’on définit la droite par son point de départ et son point d’arrivée, on en fait une figure essentiellement limitée, ce qui rend impossible la prolongation indéfinie de la droite dans les deux sens (2e demande d’Euclide). Si au contraire on définit la ligne droite par sa propriété essentielle, la seule qui intervienne dans les démonstrations : « une ligne telle qu’on n’en peut mener qu’une par deux points donnés », on pourra ensuite y distinguer deux sens opposés, et découper sur cette ligne supposée indéfinie des segments limités, ce qui est assurément plus facile que de prolonger une direction au delà du point qui la termine et la détermine à la fois, et sans lequel elle n’existerait pas[1]. Pour toutes ces raisons il vaut mieux définir la direction par la droite que la droite par la direction.

On dira peut-être que l’on fait appel, pour décrire l’intuition indéfinissable de la droite, à l’idée de direction prise dans son sens vague et usuel. Elle ne se confondra plus alors avec l’idée de droite, mais elle n’impliquera

  1. Car M. Renouvier n’admettrait pas, sans doute, que ce point s’éloignât à l’infini.