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les angles : si deux angles ont même mesure, c’est parce qu’ils contiennent un même nombre de fois l’unité, c’est donc qu’ils sont superposables : ils sont égaux numériquement, parce qu’ils sont égaux géométriquement. Quant aux angles droits eux-mêmes, on constate après coup qu’ils sont numériquement égaux, par définition si on les prend pour unités, et par mesure si l’on prend pour unité une partie aliquote de l’angle droit ; car puisque deux angles droits sont superposables, ils contiendront le même nombre d’unités. Ainsi l’égalité arithmétique dérive de l’égalité géométrique, et elle n’a de sens que comme substitut de celle-ci ; la mesure n’étant que la constatation d’un certain nombre de coïncidences, l’identite de mesure est impliquée dans l’identité de position.

Le postulat précédent n’est qu’une spécification du postulat de la mesure géométrique. Or l’axiome : « Deux figures sont égales quand elles peuvent coïncider entièrement » n’est pas un postulat : c’est la définition de l’égalité géométrique. Il est donc vain d’y chercher une synthèse de la quantité et de la qualité, de l’identité numérique et de l’identité de position. En effet, il faut bien remarquer qu’on ne définit aucune des grandeurs mathématiques simples et irréductibles, telles que les longueurs de droites et les ouvertures d’angles. On définit seulement leur égalité, et cette définition, jointe à celle de leur addition et soumise à certaines conditions, suffit à caractériser chaque espèce de grandeurs ; elle est d’ailleurs nécessaire pour les soumettre à la mesure et les faire entrer dans le calcul : « Pour qu’une grandeur soit mesurable », c’est-à-dire pour qu’on puisse la représenter par un nombre, « il faut qu’on ait préalablement défini l’égalité de deux grandeurs de même espèce[1] ». Ainsi la notion de mesure est dérivée de celle d’égalité ; et en effet celle-ci est bien plus simple et plus claire que celle-là. Il ne faut donc pas dire que « l’égalité suppose la mesure » (p. 36), car au contraire c’est la mesure qui suppose l’égalité ; ni que « deux figures superposables sont égales, c’est-à-dire ont même mesure » (ibid.), mais qu’elles ont même mesure parce qu’elles sont égales, c’est-à-dire superposables. D’ailleurs, si l’égalité est le genre dont l’identité de figure est une espèce », la première peut se déduire analytiquement de la seconde, puisque celle-ci embrasse celle-là dans sa compréhension ; et si l’égalité numérique ou équivalence est plus générale que l’égalité géométrique, c’est parce qu’elle suppose qu’on sait mesurer chaque espèce de grandeurs, et par suite qu’on a défini géométriquement leur égafité. L’inégalité ne suppose pas plus que l’égalité l’idée de la mesure ; bien au contraire, la mesure des grandeurs suppose qu’on a défini leur inégalité. Aussi peut-on comparer entre elles deux grandeurs incommensurables et dire que l’une est plus grande que l’autre : par exemple, de ce qu’on sait que la perpendiculaire est plus courte que toute oblique, on peut déduire que la diagonale du carré est plus longue que le côté, sans qu’une telle proposition implique le moins du monde l’existence d’une commune mesure. On peut donc appliquer valablement à deux grandeurs incommensurables

  1. Nous citons ici une leçon sur la mesure des grandeurs professée par M. Jules Tannery à l’École Normale Supérieure.