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aux mathématiciens si ce sont des postulats. Ils ont délînitivement renoncé à la définition traditionnelle : « La ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre ». M. Renouvier la considère comme un jugement synthétique unissant l’intuition du distant, c’est-à-dire de deux points distincts, avec l’idée du quantum de leur distance comparée à d’autres, et plus ou moins grande. Or ce prétendu postulat est un théorème démontrable, et même démontré[1]. On n’a pas à postuler que la ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre, pour l’excellente raison qu’on ne sait pas, au début de la géométrie, ce que c’est que la longueur d’un chemin quelconque. On appelle distance de deux points la ligne droite qui les joint : il n’y a donc pas de « postulat de la droite comme distance » ; c’est une simple convention, ou, si l’on veut, une définition de mot. On définit ensuite l’égalité de deux droites finies, par leur coïncidence ; puis la somme de deux segments rectilignes, par leur contiguïté sur une même droite ; enfin la longueur d’une droite finie, par une suite de superpositions. On démontre alors que dans un triangle un côté quelconque est plus petit que la somme des deux autres (prop. 20 d’Euclide). Cette démonstration, indépendante du postulat des parallèles, suppose seulement la troisième demande d’Euclide : « On peut décrire un cercle d’un point quelconque comme centre avec un rayon quelconque ». Or cette demande n’équivaut nullement au postulat de la droite comme distance ; elle est au contraire un cas particulier de ce postulat de l’uniformité de l’espace, que M. Renouvier refuse d’admettre[2]. Le théorème précédent s’étend ensuite à une ligne brisée quelconque comparée à une droite ayant mêmes extrémités. Sans doute, cette généralisation fait appel à l’intuition, comme beaucoup d’autres démonstrations géométriques ; mais il suffit, pour qu’elle soit valable, qu’elle ne dépende pas de la figure particulière que l’on considère, et que l’on voie clairement que la construction s’applique également à tous les cas possibles ; sans quoi l’on ne pourrait jamais démontrer aucun théorème sur les polygones d’un nombre quelconque de côtés, ni même sur les triangles en général : car pourquoi affirme-t-on d’un triangle quelconque ce qu’on a prouvé sur un triangle particulier, et d’un polygone de n côtés ce qu’on a démontré pour un polygone de 7 côtés, si ce n’est parce que la démonstration est indépendante du nombre des côtés, et parce qu’il n’y a pas de raison pour que les mêmes constructions et les mêmes raisonnements ne s’appliquent pas à toute autre figure vérifiant les conditions de l’énoncé ? Ainsi l’on peut démontrer au moyen des axiomes de la géométrie élémentaire, et même sans invoquer le postulatum d’Euclide, que la ligne droite est plus courte que toute ligne brisée ayant mêmes extrémités.

Le postulat de l’enveloppement se démontre pour les lignes brisées aussi bien que le postulat de la ligne droite. Euclide l’a établi pour les lignes brisées à deux côtés seulement (prop. 21) ; ce théorème sa généralise tout comme la proposition 20, et sans plus de difficulté logique, quoi qu’en dise

  1. Cf. Rouché et Comberousse, Éléments de géométrie (Gauthier-Villars, 1888).
  2. Cf. Houel, Essai critique sur les principes fondamentaux de la géométrie élémentaire, p. 14, 16 et note I (Gauthier-Villars, 1867).