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du sentiment religieux. Nous nous occuperons de la Philosophical Review, dirigée par M. Schurman, professeur à la grande école philosophique des États-Unis (Sage School, Cornell University), — revue savante, qui se consacre à l’étude approfondie des grands penseurs, aux discussions de méthodes et de principes.

Faut-il l’avouer cependant ? Le contenu de cette Revue ne nous donne pas ce que la parfaite organisation matérielle (revue des livres et des revues, etc.) nous en faisait augurer. L’influence allemande domine, en particulier l’influence du kantisme, du kantisme entendu non comme un système de métaphysique morale, intermédiaire historique entre le monadisme de Leibnitz et la dialectique hégélienne, — mais comme une théorie phénoméniste et relativiste de la connaissance. Encore les articles inspirés par la philosophie allemande sont-ils trop souvent de simples articles historiques, lorsqu’ils sont pas de simples documents de bibliographie (J. Schurman, le Problème Critique chez Kant. — Harold Griffing, J. H. Lambert. — Dr  Erich Odickes, Bibliographie Kantienne Allemande, deux articles.)

La direction de la Revue (nous ne pouvons que la louer sur ce point) semble avoir pris à tâche d’écarter, autant que faire se peut, les articles de psycho-physiologie et de psychologie expérimentale : on sait cependant combien sont florissants en Amérique les travaux de cet ordre, dont les étudiants américains vont annuellement apprendre les méthodes en Allemagne et auxquels se livrent, aux États-Unis mêmes, des professeurs allemands de la valeur de M. Münsterberg. Deux articles de M. Titchener, l’un sur le rôle de l’anthropométrie en psychologie expérimentale, l’autre un plaidoyer en faveur de la « Nouvelle Psychologie », une étude de M. Mack. Cattell sur les Procédés de Mesure mentale, — enfin un essai de M. Mark Baldwin sur le Langage et le Chant Intérieur, tous ces articles dépourvus d’ailleurs d’un caractère de très grande précision scientifique, voilà le bilan de l’œuvre accomplie par la Philosophical Review, cette année, en matière de psychologie expérimentale.

Restent les articles de philosophie pure. Quel est le rapport de l’idéal au réel, comment passer du premier de ces termes à l’autre ? voilà le problème qui nous semble faire le fond de toutes les spéculations et de toutes les discussions. C’est le vieux problème de la psychologie anglaise renouvelé par l’emprunt d’expressions kantiennes. M. Seth dans une série d’articles, dont les premiers, ayant paru en 1892, ne sont pas entre nos mains, articles qui ont soulevé des polémiques et dans le Philosophical Review (John Watson, Metaphysic and Psychology) et dans le Mind (études de M. Jones), essaie de réhabiliter, contre l’idéalisme subjectif de Hume, un réalisme assez voisin, nous semble-t-il, du réalisme des Écossais ou de Locke. — De Locke à Hume, de Kant au Néo-Kantisme, la philosophie suit dans son évolution une même marche : partie de l’opposition du sujet et de l’objet, elle commence par supprimer l’objet (chez Berkeley — chez Fichte), qui cesse d’être autre chose qu’une pure relation au sujet, — et finit par abolir le sujet lui-même qui (chez Hume, — chez Cohen, chez Lange, chez Vaihinger) n’est plus qu’une pure association d’images, ou encore une simple catégorie, l’unité transcendentale de l’objet. Cette double évolution historique fait l’objet de deux articles. Dans un troisième est affirmée la nécessité d’un objet réel extérieur à l’esprit : la psychologie traite du Moi — mais l’épistémologie (Erkenntniss-théorie, théorie de la connaissance) traite du Moi dans sa relation à un monde extérieur, — relation qu’il faut poser : « car les catégories construisent à notre usage un monde objectif seulement quand elles sont employées d’une manière transcendante » ou encore « à un objet trans-subjectif ». — La même question est discutée dans une discussion sur « la Réalité et l’Idéalisme » entre MM. Ritchie et Schiller : le réaliste est M. Schiller et M. Ritchie est idéaliste en ce sens que, « d’accord avec le Positivisme pour admettre qu’il n’existe que des phénomènes, avec le sens commun pour croire que ces phénomènes sont le monde réel lui-même, et non pas l’ombre ou le symbole de ce monde ; néanmoins, comme philosophe, il n’entend pas ce que l’on veut dire par un phénomène qui n’apparaît à aucun sujet percevant ou pensant. » M. Ritchie demande à être qualifié de « Néo-Berkéleïen » plutôt que de «Néo-Kantien » ou « Néo-Hégélien ». Nous lui donnons acte de sa réclamation ; par là M. Ritchie rentre dans la tradition anglaise, et peut-être le problème des rapports de l’idéal et du réel a-t-il toujours été mal posé chez les philosophes d’outre-Manche : l’opposition de l’idéal et du réel, cela veut-il dire le contraste du fait psychologique et du fait physique — et non, bien plutôt, du fait et de la loi, du contingent et du nécessaire ?




Coulommiers. — Imp. Paul BRODARD