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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE




SUPPLÉMENT

(n° de novembre 1893)




Histoire de la Psychologie des Grecs, par M. A. Ed. Chaignet, t. V, 1 vol. in-8. Paris, Hachette, 1893.

Voici le dernier volume de l’admirable monument que M. Chaignet a élevé en l’honneur de la philosophie grecque. Plus encore que les volumes précédents, il mérite d’être tout particulièrement recommandé à l’attention et au respect du public philosophique. Car depuis longtemps, croyons-nous, les successeurs de Plotin, Amélius et Porphyre, Jamblique et Théodore d’Asiné, Plutarque, Syrianus et Proclus, puis les derniers philosophes grecs, Hermias, Ammonius, Damascius, Simplicius, Priscien et Olympiodore n’avaient été étudiés avec autant de patience, de zèle, et d’amour.

Le problème moral dans la philosophie de Spinoza et dans l’histoire du Spinozisme, par V. Delbos, in-8. Alcan, 1893.

Ce livre dont a paru ici même un chapitre très remarqué de nos lecteurs fera date dans l’histoire du Spinozisme.

D’abord l’interprétation de M. Delbos est assez neuve en ce qu’elle essaie de donner un sens individualiste à la pensée de Spinoza ; en second lieu, dans la deuxième partie de son livre, le problème moral dans l’histoire du Spinozisme, M. Delbos fait preuve d’une érudition très vaste et très sûre ; enfin à ces qualités de penseur original et de savant, M. Delbos joint un rare talent d’écrivain. Par ces qualités le livre de M. Delbos mérite de devenir classique.

En attendant l’étude approfondie à laquelle il a droit, nous nous bornerons à signaler à nos lecteurs à côté de l’interprétation du système dont ils connaissent déjà l’esprit, les chapitres consacrés à l’histoire du Spinozisme en Allemagne, particulièrement aux doctrines de Herder, de Schleiermacher et de Hégel. M. Delbos suit à travers les différentes doctrines et dans l’intérieur même de chaque doctrine l’évolution d’une même pensée, qui consiste à faire « épanouir » l’unité primitive du panthéisme dans les divers degrés de la vie et dans la multiplicité des êtres sensibles, tentative des plus heureuses et des plus opportunes aussi pour introduire en France l’étude de la philosophie allemande en la rattachant aux conceptions plus familières du cartésianisme.

L’Action. Essai d’une critique de la vie et d’une science de la pratique, par M. Blondel, 1 vol. in-8. Alcan, 1893.

Le rationalisme moderne a été conduit par l’analyse de la pensée à faire de la notion d’immanence la base et la condition même de toute doctrine philosophique. S’attacher tout au contraire à l’action pour faire voir dans tout acte une inévitable transcendance ; en partant de rien, de la négation même du problème moral, aboutir à tout, à la pratique littérale du catholicisme, à la communion eucharistique, sans négliger entre ces deux termes extrêmes aucun des intermédiaires : action individuelle ou synergie, action sociale ou cœnergie, action religieuse ou théergie ; enfin montrer que par là l’universalité des problèmes philosophiques se trouve transposée, dans l’ordre de la pratique, et résolue grâce à cette transposition, voilà le but que s’est proposé M, Blondel. Il est vrai que l’originalité même de sa méthode, l’effort pour achever la description des phénomènes et la fixer dans une formule, effort méthodiquement impuissant, puisque tout phénomène doit se dépasser et se contredire afin de révéler un ordre supérieur, entraîne une tension continue d’analyse et de style qui devient quelquefois fatigante pour le lecteur. Il convient aussi d’ajouter, tout en rendant hommage à la sincérité, à la largeur de conception, à la subtilité dialectique de M. Blondel, qu’il trouvera, parmi les défenseurs des droits de la Raison, des adversaires courtois mais résolus ; et en présence de certaines formules de cette thèse remarquable, on se demande si dans cette tentative pour arriver à la lumière et à la vérité, M. Blondel n’a pas été « enveloppé » et détourné par son amour des ténèbres et son besoin du mystère.