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cela ne signifie pas que la proposition soit vraie, le résultat possible, cela nous permettrait plutôt de présumer le contraire : la volonté passionnée de produire un effet risque d’obscurcir la raison qui réfléchit sur les moyens propres à l’atteindre. — Lorsque César dit : Je veux, j’ordonne que ma volonté tienne lieu de loi, il demande, il exige que ses ordres soient obéis comme s’ils étaient l’expression même de la justice, mais il ne prétend pas que cette identification de la volonté et du droit soit une vérité, il lui suffit qu’elle soit un fait, et reconnue par tous comme un fait.

Bref, si l’effort se laisse saisir à la manière d’un fait, c’est qu’il n’est pas identique à la pensée ; car la pensée est, en un sens, la négation même du fait. La seule distinction, en effet, que l’on puisse opérer entre l’objet et la pensée de l’objet, c’est la distinction entre l’objet conçu comme un fait contingent, une chose qui existe parmi d’autres choses, et dont la raison d’être lui est extérieure ; — et, d’autre part, l’objet en tant qu’il est réduit à ses conditions logiques, celles en l’absence desquelles on ne saurait concevoir qu’il existe, qui sont nécessaires, et par suite universelles et éternelles. L’expérience constate : voilà pourquoi elle peut saisir le moi ; car le moi n’est que la pensée devenue une chose, soumise à la loi du temps et de l’espace qui extériorise, et par suite individualise. Au contraire la réflexion philosophique démontre : voilà pourquoi elle ne peut considérer la pensée comme un être appartenant à un genre spécial, tel que le sont pour le savant, par exemple, la matière brute ou la matière organique. Car elle est la pensée, et son objet, c’est l’objet en ce qu’il a d’universel et de nécessaire. J’expérimente, si l’on veut, que moi, Pierre, Paul ou Jean, j’existe comme être pensant isolé et particulier ; en ce sens j’expérimente que ma pensée existe, dans la mesure où j’éprouve qu’elle se trouve limitée et bornée. Mais je ne puis consentir à ce que la pensée, dont je sais, par définition, qu’elle est éternelle, universelle et nécessaire, soit ma pensée dont j’apprends, par expérience, qu’elle est sujette à la naissance et à la mort, particulière et contingente. En dernière analyse l’expression dont se sert M. Fonsegrive, d’une « expérience de la pensée » est une expression fautive, qui confond deux termes, alors qu’il importerait de les opposer. L’alternative se pose : il faut être empiriste, et chercher le fait, — ou idéaliste, et chercher le nécessaire.

Mais peut-être cette équivoque, qui, selon nous, règne dans tout l’ouvrage de M. Fonsegrive, deviendra-t-elle plus claire, si nous montrons comment elle se produit à propos de l’idée même de causalité, objet principal de ses réflexions. Elle aussi, comme l’idée d’effort mental, implique contradiction ; et ce n’est pas, comme le croit M. Fonsegrive, une contradiction que l’on puisse résoudre sans résoudre, en quelque sorte, l’idée même de causalité.

Nous accordons, avec M. Fonsegrive, que l’expérience extérieure ne peut fournir le principe de causalité. L’expérience saisit le fait ; mais la causalité est un rapport entre deux faits ; or de tous les faits mis ensemble on ne saurait tirer la plus petite relation. Cette proposition elle-même n’est que l’expression imparfaite, et nécessairement imparfaite, d’une vérité : car parler de « tous les faits », c’est déjà les soumettre à certaines conditions abs-