D’ailleurs cette vision du réel, nous ne croyons pas qu’elle soit refusée à l’esprit : nous croyons seulement qu’en la cherchant dans le domaine de la conscience réfléchie comme telle, on la cherche dans un domaine qui n’est pas le sien. Et nous croyons que seul le monisme, et le monisme tel que le conçoit M. Fouillée, rend possible la connaissance parce qu’il la place nécessairement, comme nous allons essayer de le montrer, dans son vrai domaine, quoique, ordinairement, on ne songe guère qu’elle puisse s’y trouver. Ainsi le monisme, étant la condition sine qua non de la connaissance, aura ipso facto le plus haut degré de certitude.
L’hypothèse dualiste est une position nécessairement provisoire ; nous n’en ferons pas la critique, qui a d’ailleurs été très bien faite par d’autres et par M. Fouillée dans son Évolutionnisme des Idées-forces. Mais il y a deux monismes possibles au moins à première vue : un monisme réaliste, c’est-à-dire en somme matérialiste et un monisme idéaliste. M. Fouillée a consacré ses principaux ouvrages à combattre l’un et à défendre l’autre : sa psychologie aura, croyons-nous, le grand résultat de fournir une ferme base au second. Mais le monisme, entendu au sens idéaliste, est susceptible de prendre deux formes, dont M. Boirac, dans son analyse de l’Évolutionnisme des Idées-forces[1], a très bien décrit les caractères essentiels : l’idéalisme moniste et l’idéalisme monadiste. Il serait peut-être préférable de dire : le monisme idéaliste et le monadisme. Celui-ci est l’hypothèse bien connue de Leibniz. Le premier, dont l’on retrouve déjà quelques traits chez ce faux matérialiste de Diderot[2], consiste à admettre que l’essence de tout ce qui existe est une sensibilité et une volonté confuses répandues dans tout l’univers, mais qui ne sont pas par elles-mêmes centralisées en atomes psychiques constituant des unités séparées et en quelque sorte solitaires ; que, par une évolution qui les intègre et les organise, ces phénomènes élémentaires, ce psychique à l’état diffus et pour ainsi dire chaotique, aboutissent à former ces séries de représentations définies et soutenant entre elles des rapports définis que nous trouvons dans notre conscience, comme la poussière cosmique d’une nébuleuse finit par former un harmonieux système sidéral. Que ce soit là le monisme qui a les préférences de M. Fouillée, c’est ce qu’il n’affirmait pas catégoriquement dans l’Évolutionnisme des Idées-forces [3], mais ce que l’on était en droit d’induire de certaines pages de ce livre[4]. Dans la Psychologie des Idées-forces, des passages comme celui-ci
- ↑ Revue philosophique de novembre 1891, p. 527.
- ↑ Voir l’Entretien entre d’Alembert et Diderot et le Rêve de d’Alembert.
- ↑ Si peu catégoriquement que M. Pillon, dans son compte rendu de l’ouvrage, dit au contraire que M. Fouillée « découvre, comme bien d’autres, l’idéalisme monadisle » (Année philosophique, 1892, p. 246).
- ↑ Voir p. 290 et cette conclusion du § III, chap. ii, liv. IV : « La conscience, loin d’être en dehors de la réalité, est l’immédiate présence de la réalité à elle-même et le déroulement intérieur de ses richesses ». De même dans l’Avenir de la Métaphysique fondée sur l’Expérience : « Le mouvement même suppose un élément interne d’appétition, comme disait Leibniz, par conséquent de conscience virtuelle qui, en s’actualisant, aboutit à la forme supérieure de l’idée » (p. 300-301).