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caractère de subjectivité irréductible ». Quant à l’acte de conscience réfléchie, où l’élément objectif apparaît, il montre non moins justement que « c’est une combinaison nouvelle de faits mentaux qui succéde au fait sur lequel nous croyons réfléchir directement en croyant réfléchir sur un fait actuel, nous donnons réellement naissance à des faits nouveaux[1] ». Comment n’en pas conclure que la conscience réfléchie, c’est-à-dire en somme la connaissance, comme telle est décevante ? « Le procédé de l’observation interne, dit-il, est, au fond, le même que celui de l’observation externe. Notre observation du moi-objet s’étend juste aussi loin que l’imagination. Or l’imagination est liée d’abord à la perception extérieure : imaginer, c’est encore percevoir, observer des images venues du dehors, se représenter des objets[2]. » N’est-ce pas la condamnation de cette observation comme moyen de connaître réellement, n’est-ce pas avouer qu’une illusion lui est inhérente au même titre qu’à cette perception extérieure dont le procès n’est plus à faire ? Si, comme le dit M. Fouillée[3], en imaginant, nous créons l’objet même à étudier et nous le varions de mille manières, de façon à produire une sorte d’expérimentation interne, si le fait conscient n’est véritablement tel que sous sa forme spontanée et subjective, si la forme réfléchie et objective se réduit à une nouvelle combinaison de faits spontanément conscients, le mot science doit changer de sens pour s’appliquer à la psychologie. Nous entendons toujours par science l’appréhension d’une réalité qui est indépendante de nous, et telle qu’elle est indépendamment de nous et de notre action. Puisque toute science implique une objectivation, et que, d’autre part, le fait psychique ne reste lui-même que s’il conserve cette coïncidence absolue, cette identité du sujet et de l’objet qui est son caractère propre, il suit que c’est pur abus de mot que d’affecter à la psychologie le nom de science avec son sens ordinaire : ce qui est connu, ce n’est plus le fait psychique comme tel, c’est notre création, et pour être tout à fait exact, il faut dire : science de faits psychiques équivaut strictement à création de faits psychiques. Mais ceux-ci, une fois créés, et par là même que nous les créons, sont appréhendés puisqu’ils sont conscients : la psychologie est donc, dans sa matière, la conscience de faits psychiques que nous créons dans la recherche d’une science des faits mentaux ; c’est une série conscientielle parallèle à la série conscientielle sur laquelle portait infructueusement notre étude, notre réflexion. La seule science, au sens précisé plus haut, du psychique, est donnée par la vie même de la conscience spontanée. Toute autre est ce que l’on peut appeler une science, si l’on veut, mais ce qui n’est qu’une science phénoménale, portant comme telle sur des apparences (apparences qui, considérées en elles-mêmes et indépendamment de tout rapport à un objet, sont des réalités) dues à notre constitution interne qui nous impose l’objectivation de ce qui ne peut qu’être subjectif ou n’être plus soi.

Si la notion si lumineuse de la conscience et de ses deux modes que l’on

  1. I, xxxii.
  2. I, id.
  3. I, xxxiii.